Chapitre XVII

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« Les hommes naissent ignorants et non stupides. C'est l'éducation qui les rend stupides. »
Bertrand Russell

Victor est parti quelques jours dans sa famille pour les fêtes de Noël. C'est fou comme l'appartement reprend son rôle d'oasis de quiétude. Pas de Victor vautré sur le divan, pas de nouvelles surprises à chaque fois que l'on passe la porte, le choix des programmes télévisuels,... Seule ombre au tableau : Sarahplique.
Je fais signe à Sarah de me passer la télécommande qui se trouve sur la table basse.
- Tu veux quoi ? Questionne-t-elle. Je ne sais pas, réfléchis et regarde le seul objet qui se trouve sur la table et que j'observe à ce moment précis. Ça n'a pas l'air de percuter. Sarahmollit.
- La télécommande, finis-je par dire.
- La télécommande de la télé ?
- Tant qu'à faire.
Elle s'exécute. Même si c'est pénible au quotidien, j'adore observer la vivacité d'esprit chez cette fille.
Avec Evalina nous ne sommes pas vraiment adeptes du petit écran, déjà parce qu'il est monopolisé en majeure partie par Victor et aussi parce qu'on ne supporte pas la publicité, la télé-réalité et tout ce qui se rapproche de près ou de loin au sport. Cependant, on a développé une petite...je n'irai pas jusqu'à dire passion mais...inclination, pour ces émissions de magazines-vérités qui exploitent la misère des gens. « Tellement vrai, Confessions intimes ou encore C'est ma vie », sont exactement le style de trash TV que nous regardons avec Evalina, en mangeant des pop-corn micro-ondables.
J'allume donc la télé, pendant qu'Evalina finit de nous préparer un frichti. L'émission a déjà commencé.
Evalina se dépêche de terminer et ramène le plateau qu'elle pose sur la table basse.
- Vous trouvez pas que c'est du voyeurisme !? Ils montrent que des gens qui s'engueulent ou qui pleurent, dans leur chez eux. C'est débile ! Engage Sarahle qui, une fois de plus, nous fait la démonstration qu'elle ne peut supporter de ne pas entendre sa voix pendant plus de cinq minutes.
- Personne ne leur a mis un couteau sous la gorge pour qu'ils composent le numéro, ces gens ont décidé d'appeler l'émission de leur plein gré pour y participer. S'ils ne sont pas assez futés pour se rendre compte qu'ils se compromettent dans une émission de télé, c'est leur problème, rétorque Evalina.
- Au même titre que ceux qui dévoilent leur vie sur les réseaux sociaux, ajoutais-je. Oui, c'est clairement dirigé vers Sarahmène-sa-science.
Un de nos jeux favori devant ce genre d'émission est de repérer quel-est-le-plus-moche-truc-que-les-gens-ont-chez-eux, parfois c'est dur de trancher.
- Alors quel objet ? Commencé-je.
- J'hésite entre le pot à brosse à dent rose fluo en forme d'éléphant ou le Christ sur la croix intégralement fait de coquillages.
- Choix délicat. On parle aussi de la tête de sanglier en porcelaine sur le buffet de la salle à manger ?
- Vous n'avez pas honte de vous foutre de la gueule de ces pauvres gens ? Sermone Sarahbâche.
- Tant que la médiocrité de la nature humaine sera diffusée sur les ondes, je ne vois pas ce qui me retient de la regarder et de m'en délecter. Si la dignité vient frapper à la porte de ces gens-là, qu'ils ouvrent armés de leur vingt-deux long rifle, tirent sans sommation, puis lâche les chiens ensuite pour finir le travail, eh bien...j'hésite entre tant pis ou tant mieux.
- Mais ce n'est pas de leur faute non plus, j'ai vu un reportage là-dessus, ils se font manipuler par la production qui amplifie la réalité. C'est pour créer de l'audimat. C'est des victimes. Ils ne voient pas l'impact et les conséquences derrière, lance Sarahjoute.
- ...Tu n'as pas du shopping à faire ou ton mélanome à développer dans tes cercueils solaires là ? Parce que tu es en train de gâcher mon plaisir. Sarahbat-joie. Ce sont des victimes ? Oui, peut-être. Mais consentantes. Comme le souligne Eva, ils l'ont bien voulu ! Pour moi, c'est comme si ils disaient à leur bourreau : s'il vous plaît avant de me tuer, vous pouvez me violer d'abord ?
- Regarde, nous on pourrait très bien les appeler pour Victor, j'ai déjà le titre : « Au secours, mon canapé est devenu le refuge d'une grosse feignasse », mais on ne le fait pas, affirme Evalina. Parce qu'il est hors de question que des caméras s'introduisent chez nous pour filmer notre intimité et la balancer sur la place publique. C'est juste du bon sens.
- Ok, je dis plus rien.
Excellente initiative Sarahvale-ses-paroles. Si tu avais continué de faire ta Sarahdote, j'aurais transformé tes glandes lacrymales en Sarah-de-marée. 

(sans)timentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant