Chapitre XXV

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« Il n'y a qu'à être en Espagne pour n'avoir plus envie d'y bâtir des châteaux. »
Madame de Sévigné

Nous sommes à la terrasse de l'Expia avec Evalina, en train de déguster un thé. Elle Darjeeling, moi thé vert menthe. Une voiture klaxonne. Evalina lève la tête et fait un signe de la main. Comme je suis dos à la route, le temps de tourner la tête, je ne vois que l'arrière du cabriolet.
- C'était Maxime ! Sourit-elle niaisement.
- Maxime ?
- Oui un collègue au travail, enfin un de mes supérieurs indirect. Je t'en ai déjà parlé. Il est trop sympa. Je rigole bien avec lui.
Je passe en revue rapidement nos discussions de ces dernières semaines... Que dalle.
- ...Non.
L'instant d'après, je vois son visage se figer. Elle a juste le temps de marmonner un petit : « C'est pour toi. » Quand je sens un doigt me tapoter deux fois rapidement l'épaule... Fanny.
C'est l'antépénultième personne que je m'attendais à voir ici...après ma mère et ce Maxime.
Son visage ne respire pas la jovialité.
- Tu peux nous laisser Evalina ?
- Non elle ne peut pas, exprimé-je calmement.
Ce qui a eu pour effet de créer une expression d'agacement chez Fanny et d'étonnement chez Evalina.
- Tu aurais pu répondre à mes messages !
- ...Aux messages d'insultes ? Au message que tu as tagué sur le mur de ma chambre ? Au message que tu as véhiculé en mettant le feu à mon coffret en bois ?
- Non. A ceux où je te demandais qu'on se revoit pour des explications plus précises... Eh oui je me suis emportée, je n'ai pas réfléchi, j'ai agi sur l'instant. Mais tu t'attendais à quoi !? A ce que je le prenne bien !?
- C'est peut-être mon côté idéaliste qui s'exprime mais oui, je pensais que ça aurait pu bien se passer.
- Mais tu vis dans quel monde Nathanaël !? Visiblement dans un monde régi par des gens émotionnellement sensibles.
Je n'ai aucune envie de poursuivre ce dialogue. De quelle manière je vais lui faire comprendre ?
Essayons cela. Je regarde Evalina et lève les yeux au ciel. La réaction de Fanny est immédiate, elle m'attrape par le revers de ma veste et s'insurge :
- Tu m'écoutes quand je te parle !
J'ai d'abord fixé sa main. Puis ses yeux. Et à nouveau sa main. En collant deux doigts à son poignet, j'ai écarté de moi sa dextre dans un geste continu. Jusqu'à ce qu'elle lâche ma veste.
- Ou sinon quoi ? Tu vas crier encore plus fort ? Je resterai impassible. Tu vas me jeter ce thé à la figure ? Il est froid. Tu vas me mettre une gifle ? Je te tendrais l'autre joue, juste pour te faire chier. Je ne pense pas que le nazaréen l'avait formulé comme ça. Tes options sont limitées. Partir maintenant sans faire d'histoire me semble encore la meilleure. Alors retourne à tes affaires avant de faire une chose que tu pourrais regretter.
- La seule chose que je regrette c'est d'être sortie avec toi et d'avoir cru à un éventuel nous deux ! Je te croyais différent des autres mais t'es pire ! Rien ne te touche. T'es handicapé des sentiments !
Après avoir craché son venin, elle part la tête haute.
Elle se trompe, ce n'est pas que je sois handicapé des sentiments... Je suis carrément dans un coma sentimental, une mort cérébrale de l'émotion.
Evalina garde le silence, le temps de contempler nos voisins de terrasse qui ont le regard braqué sur moi. Puis comme si de rien n'était, elle reprend la conversation initiale :
- Je ne t'ai jamais parlé de Maxime ?

En rentrant, nous montons la volée d'escaliers de notre immeuble, quand Fernand, enfin le voisin du dessous qui n'a ni nom inscrit sur la boîte aux lettres ni sur la sonnette, sort au même moment pour descendre la poubelle.
- La porte du bas, elle se ferme à clef ! C'est pas possible, je vous le dis à chaque fois ! Rabâche-t-il.
Evalina récuse les propos de Fernand l'éthylique et ils s'énervent mutuellement dans un dialogue de sourds jusqu'à ce qu'il passe la porte et sorte.
Un peu sur les nerfs, c'est Victor, en train d'admirer ses cordes de pendus, qui prend. Parce que oui, Evalina ne lâche pas le morceau quant à la bonne résolution qu'elle a prévu pour Victor.
- Au fait, pour ta recherche de travail Mingus, ça en est où ?
- Ouais faudra qu'on en parle.
- Justement, on en parle, fais-je remarquer à Victor.
- Bah là j'cherche mais y'a pas grand-chose qui m'correspond.
- C'est vrai, tu à l'air activement en train de chercher ! Bon écoute Mingus, là tu arrives en fin de droit, ok !? Tu dois faire les démarches et te trouver un travail. Arrête de procrastiner et fais-le !
- Oh vous me saoulez avec ça ! S'énerve-t-il en se levant du canapé et se dirigeant vers sa chambre. Quand j'dis que je fais quelque chose je l'fais. Pas la peine de m'le rappeler toutes les semaines !
Il claque la porte. Je souris.
- Je ne trouve pas ça drôle Nath. Pourquoi tu ne laisses pas un CV de Victor dans ta boîte ? Pour qu'il soit porteur.
- Pour les mêmes raisons que tu ne laisses pas un CV de Victor dans la tienne, pour qu'il soit agent d'accueil.
- ...Ça se tient.

(sans)timentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant