Chapitre XXXVI

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« Nous perpétrons certaines actions simplement parce que nous ne le devrions pas. »
Edgar Allan Poe

Dimanche après-midi, appartement de Coline. Nous venons de faire une bataille d'oreiller. J'ai mis quelques coups bien placés mais elle a eu raison de moi. Elle m'ordonne de ployer le genou et de déposer mon oreiller à ses pieds en signe de soumission.
Pas tant que je respire.
Je suis allongé sur le dos et Coline est assise sur mon thorax, elle bloque mes bras avec ses genoux. Ce qui sonne la fin du combat.
- Alors !? Je suis une guerrière.
- ...Plutôt Valkyrie ou Amazone ?
- Vu ma position, j'aurais bien dit Amazone mais j'emmène les guerriers tombés au combat au Valhalla, en faisant une retouche artistique au passage, donc une Valkyrie, sans hésitation.
- J'aime bien l'image de la déesse guerrière psychopompe.
- Je suis comme dans ce film en noir et blanc... « Ta Valkyrie » !
- Sin City ? Pfff, ma Valkyrie, annoncé-je en levant les yeux au ciel. T'es surtout une midinette. Et au passage les Valkyries elles sont vierges, et pas du signe astrologique.
Coline rigole et enchaine très vite :
- Je crois que tu n'es pas en position de force Nathanaël Detrait...d'ailleurs on avait parlé d'une récompense à celui qui ferait abdiquer l'autre, si je me souviens bien.
- Quelle mémoire.
- ... Laisse-moi réfléchir...hummm... Je veux une journée de servitude !
- Ah oui carrément ? Je pensais que tu étais une fille vénale et qu'un resto ou un ciné te suffirait. Mais non, tu es pire. Une journée de servitude ?
- Oui vingt-quatre heures quoi ! Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans une journée ?
- Elle est insolente en plus.
- Donc pour ma JDS, oui je trouve que ça donne un effet plus festif de dire JDS, je te spoile un peu : ça commence le samedi à 18h00 et ça finit le dimanche à la même heure. Prends des notes. Il faut que tu ramènes une bouteille de champagne, du foie gras, du bain moussant, des Schtroumpfs Haribo parce que ses sont mes préférés, des bougies, un flacon à bulles... Et tu sais, ces espèces de manchettes et tour de cou de stripteaseur ringard... Ah et j'espère que tu sais masser ?
- Bien sûr... Evalina m'a tout appris, je maitrise plusieurs façons de masser et je connais les points sensibles, agréables, voire érogènes, du corps féminin. Tu n'as pas peur que ce soit un peu long, vingt-quatre heures de dévotion ?
- Ne te préoccupe pas pour ça, je regorge d'idées pour passer le temps.
- Me voilà rassuré.

Le lundi, c'est souvent le jour le plus rock'n'roll de la semaine, à cause du week-end. C'est vrai, la personne d'astreinte le dimanche peut recevoir des familles mais quoi qu'il en soit, il faut attendre le lundi pour la validation de toute la planification par le chef. Il s'assure que cela colle au niveau des convois, des équipes et des marbriers, avant de boucler l'organisation définitive et nous donner le feu vert.
Il y a aussi les familles qui ignorent qu'il y a une astreinte le dimanche ou qui attendent poliment le lundi pour débarquer à l'agence.
La première personne que je croise en arrivant, c'est notre Régis. Je prends la température en lui demandant comment s'est passée la semaine. Pas le temps de prendre un thé, deux familles arrivent à l'ouverture de l'agence pour un décès. Comme chantaient les Bangles : « It's another manic Monday ».
En bon prince, Régis me laisse le choix. Alors je prends le type avec la chemisette et les lunettes. Il ressemble à William Foster dans Chute libre. Sauf qu'il n'a pas sombré dans la folie et la violence pendant l'entretien. Au contraire, il était très doux, il a même sorti avec compassion, vers la fin :
- C'est un métier difficile que vous faites. J'ai entendu dire.
Que ce soit mes collègues ou des confrères, j'ai déjà entendu quelques témoignages de conseillers, même aguerris, qui se sont retrouvés affectés par la douleur d'une famille qu'ils ont reçue. Une qui les marque plus que les autres. Pour une raison qui leur est propre : une ressemblance physique ou un prénom similaire avec le défunt ou l'un de ses proches. Parfois, c'est une histoire commune qui les relie. Ou tout simplement, le chagrin et les mots employés par les clients en face d'eux.
A contrario, d'autres conseillers, n'en ont rien à foutre. Vous pouvez venir avec le passif de Guts, ça ne change rien. Ils vendent la mort comme ils vous vendraient une voiture ou le dernier aspirateur de table. Pas de scrupules, ils sont là pour faire du business et rentrer du fric.
Moi, ce n'est pas que j'en ai quelque chose à faire, c'est simplement que j'y trouve mon compte.

(sans)timentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant