Chapitre X

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« Il vaut mieux bien faire le mal que mal faire le bien. »
Ovide

Chaque matin, l'un d'entre nous va vérifier les salons pour s'assurer que les occupants n'ont pas « évolué » durant la nuit.
Pour la petite histoire, avant nous avions un agent de funérarium, c'est lui qui vérifiait si tout allait bien, qui gérait les toilettes et habillages des défunts, l'entretien des salons, l'accueil des familles qui se rendaient à la maison funéraire, les fermetures de cercueils,... Il a été remercié. Cela avait fait un tollé à l'époque. Sa femme en allant à son rendez-vous chez le gynécologue apprend qu'elle avait des champignons que l'on trouve uniquement sur les cadavres. Je vous laisse imaginer l'histoire.
L'entreprise, pour des restrictions budgétaires, n'a pas jugé bon de recruter un nouvel agent funéraire, donc maintenant c'est notre polyvalence de conseiller qui est mise à contribution.
Ce matin, je rentre dans les salons pour inspecter les défunts. Je trouve Mme Leroux les bras en l'air. « Vous faites du développé couché Mme Leroux ? »
En réalité, la famille lui avait détaché les mains pour lui passer des bracelets élastiques à chaque poignet et puis l'avait laissé dans cette position, sans même nous avertir.
Je remets Madame Leroux en place et attends patiemment que la voiture de police arrive pour la fermeture des cercueils.

Quand il s'agit d'une crémation, ou lorsqu'il n'y a pas de famille présente au moment de la fermeture du cercueil, nous faisons venir la police. C'est obligatoire. Son rôle est de s'assurer que c'est la bonne personne à l'intérieur du cercueil, en contrôlant le bracelet d'identification ainsi que les papiers autorisant la fermeture. Si tout ceci est juste, alors seulement elle pose les scellés à la tête et au pied du cercueil. On appelle cela une vacation de police. Dans la commune, l'agent de police chargé de cela s'appelle Gérald. Il est habillé en civil avec juste le brassard de police orange fluo autour du bras gauche. Pour le décrire, il a le corps robuste, les épaules larges, une tête plutôt carrée avec des cheveux bouclés enfin surtout sur les côtés et une petite touffe sur le haut du front. Un peu rustre au premier abord, il est cool au final. Sa passion à lui c'est le foot. Fervent supporter, il ne loupe jamais un match de son équipe favorite. A force de se côtoyer, on se tutoie, j'ai même son numéro perso dans mon téléphone. C'est toujours bon, de compter dans ses relations un agent des forces de l'ordre.
- Salut Nath !
- Monsieur le brigadier.
- Je viens pour la fermeture Leroux et Bastien, annonce-t-il en posant sa mallette contenant le matériel destiné à la pose de scellés.
Lorsque vous venez de poser le couvercle sur le cercueil, en ayant pris soin de rabattre tous les volants du capiton vers l'intérieur au préalable, que vous avez le vilebrequin en main, la famille les yeux humides a le regard braqué sur chacun de vos gestes, un silence de cathédrale règne et vous pouvez entendre seulement le bruit de leur respiration et des vis qui s'enfoncent peu à peu dans le bois. C'est après qu'intervient Gérald. A l'aide de son briquet, il fait fondre quelques gouttes d'un bâtonnet de cire rouge sur les vis en haut et en bas et y applique le cachet en métal. Gérald est de l'ancienne école, de nos jours les cachets de cire ont tendances à être remplacés par des étiquettes autocollantes. Il faudra qu'il s'y mette un jour.

Evalina eu un matin l'idée d'organiser chez nous un vide dressing. Le concept : chacune des filles invitées vient avec deux copines et ramène les habits qu'elle ne veut plus porter et qu'elle est prête à vendre ou à échanger contre d'autres vêtements, accessoires, bijoux, sacs et objets de déco vintage. Evalina est particulièrement euphorique à l'idée d'organiser cela et de pouvoir trouver des « super occasions ». Après de longues supplications je cède et je l'aide à préparer son stock avec des petites étiquettes sur chacun de ses habits ou accessoires. Puis nous passons à ceux de Sarah, ô combien nombreux.
En parlant de Sarah, elle porte pour l'occasion un sacré décolleté. Quand je dis « sacré », il faut l'entendre dans ces deux acceptions. Sacré, car oui un décolleté qui laisse apparaitre le nombril surtout chez Sarah c'est quelque chose à voir. Un peu comme quand on va au cabaret. Et sacré, car comme toujours, sa croix en pendentif orne sur toute cette peau apparente.
Victor a d'ordinaire le mot qu'il faut lors des apparitions de Sarah. Lorsque je dis le mot qu'il faut, cela signifie le mot qui moi me fait sourire. Je ne sais pas qui est le plus à plaindre entre ces deux-là. Evalina pense que c'est Victor. Il nie fermement depuis des années avoir des vues sur Sarah. « Je préfère encore me taper Chika. » D'un côté, vu le temps qu'il passe à la tondre il y a peut-être eu rapprochement. Et moi qui pense Sarah. N'est-ce pas pitoyable de s'apprêter de la sorte pour aller du salon aux toilettes et des toilettes au salon ?
- Tu aimes bien cette couleur prune ? Demande Sarah à Victor en lui montrant un pull.
- T'fatigue pas, j'vois que seize couleurs. Pour moi prune c'est un fruit, café c'est une boisson et saumon un poiscaille.
J'avoue, quelques fois je partage sa vision.

(sans)timentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant