Chapitre XXXVII

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« On comprend ce qu'est le pouvoir lorsqu'on tient la peur de quelqu'un entre ses mains et qu'on la lui montre. »
Amy Tan

SMS d'Evalina :

Je suis à l'hôpital...viens vite stp.

Coup d'œil à gauche, Albane se débat avec les dossiers à mettre au contentieux. Coup d'œil à droite, Régis est au téléphone en train de négocier la pose d'un columbarium avec une collectivité. Je laisse tout en plan et sors de l'agence sans prévenir personne. Direction la voiture, garée deux rues plus loin, à cause du parking privé en travaux de rénovation.
Sur le chemin j'entends un « Eh ! », je ne me retourne pas. Puis un « Oh ! », beaucoup plus fort cette fois. Je continue de marcher. S'en suit un « Toi au costume noir ! », comme le couple qui vient en contre sens me regarde, il s'agit bien de moi qu'on appelle. Cela ne m'arrête pas pour autant. Un type encapuchonné arrive à ma hauteur sur un pas pressant, me double et se poste en travers de mon chemin. Il me sort sur un ton très agréable :
- Putain tu peux t'retourner quand j't'appelle !
Je le considère quelques secondes : les yeux rouges, les dents pourries, une dreadlocks pend à son menton et une bonne demie douzaine de piercings sont répartis sur son visage.
- Qu'est-ce que j'ai à y gagner ? Sûrement pas du temps, de l'énergie ou de l'argent à faire chemin inverse, venir jusqu'à toi et me justifier sur le fait que je ne vais te filer ni clope ni pièce de monnaie. Je vais donc te gratifier d'un « bonne journée » et nous en resterons là... Bonne journée.
Je le contourne et continue d'avancer vers l'endroit où est stationnée la voiture.
- C'est ça casse-toi, pédale, lance-t-il.
Je tourne au coin de la rue.

Les injures ne sont vraiment que le propre des primitifs sans répartie. Des tocards même pas de bas étage, niveau rez-de-chaussée. D'un côté, il n'a pas tort, il tente. S'il tombe sur un mec de sa trempe, la gratification du terme « pédale » peut conduire ce dernier à un état d'irritation.
Enerver une fille, c'est simple. Il suffit de lui faire un commentaire désobligeant sur son physique : moustache, double menton, culotte de cheval, cellulite,... Cela marche quasiment à chaque fois.
Enerver un mec c'est différent, le physique rentre moins en ligne de compte. Ce qui marche encore le mieux c'est la remise en question de sa virilité, comme l'a joliment fait le punk à chien. Ou encore, l'insulte à la génitrice. L'expression « fils de pute » est remarquable pour cela.
De ce que j'ai pu constater, en dehors des caractéristiques physiques et/ou hiérarchiques, quand cette formule est prononcée par la personne qui injure, l'injurié va avoir tendance à défendre son honneur bafoué et laver cet affront. Verbalement, voire physiquement.
En réagissant ainsi vous appartenez alors à la même catégorie de personne que Marty McFly et « c'est pour ça que vous aurez cet accident dans le futur ».
Ce qui me laisse dubitatif c'est pourquoi ? Pourquoi lorsqu'un petit rebut de la race humaine, qui n'a d'autre moyen d'expression que la violence verbale, vous qualifie en ces termes, vous prenez ça comme une vérité absolue ?
Je ferai une mise en situation sur Victor.

Je continue de marcher. En temps normal, je trouve ça vraiment pathétique les gens qui se prennent en photo devant « les belles voitures ». A plus forte raison lorsque ce sont des flics devant une Ferrari mal garée sur une place de livraison. Simple question, à quel moment vous la verbalisez ? Ça serait ma voiture, elle serait déjà sur le camion de la fourrière. Certains diront : « Il est dans sa Ferrari, toi t'es dans ta jalousie »... Non, c'est juste que j'ai du mal avec le concept de possession comme marqueur social. Est-ce qu'il est vraiment utile d'avoir un tas de ferraille, ingarable en ville, qui consomme quinze litres au cent et qui ne passe pas les dos d'âne ? La réponse est dans la question.
En arrivant à la 206, j'enlève ma veste et la jette sur le siège passager. Je desserre ma cravate, enfourne la clef, tourne le contact et démarre en trombe en coupant un peu la priorité à un type. J'ai quand même mis mon clignotant. Je fais signe au conducteur que je m'excuse mais il ne tient pas compte de mon geste et commence à klaxonner et me rattraper pour me coller de près.
Si j'avais eu le temps, j'aurais pilé net pour qu'il me rentre dedans et qu'il soit en tort mais ce n'est pas le cas. Je sors donc mon bras par la fenêtre et pointe mon majeur vers le ciel. Les klaxons doublent de cadence et s'ajoute à cela les appels de phares en prime. Bon, c'était sûr que ce geste n'allait pas calmer les ardeurs de mon poursuivant. D'habitude je laisse le type s'énerver. Je dirais même que cela m'amuse...mais ça c'est d'habitude. Là, j'innove.
Je tire le frein main et stoppe la voiture au milieu de la route, le type pile juste derrière moi. J'attrape le tonfa sur la banquette arrière et sors du véhicule.

(sans)timentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant