Chapitre XIV

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« La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s'attendre à un résultat différent. »
Albert Einstein

Victor a rendez-vous avec une fille dans un bar. Il a dû s'arranger son petit rencard sur un site de rencontre ou une application, une fois de plus.
Sa nouvelle proie lui a précisé qu'elle venait avec une amie. Hugo aurait dû être le quatrième mais il a décommandé la veille. Alors Victor s'est tourné vers moi. J'ai répondu présent évidemment.
C'est toujours un spectacle pour moi, j'en connais souvent l'issue mais c'est ce qui précède l'issue qui est intéressant. De la pure impro victorienne.
Dans les rares cas où ça ne se solde pas par un échec, je me prépare à tenir la chandelle. Et quand je dis chandelle, je pense plutôt cierge pascal.

Victor est en pleine phase deux de sa méthode « rencontre choc » et sort des tirades apprises par cœur. Il a un stock de phrases choc inépuisables et pour toutes les situations. Quand il veut il a de la mémoire.
- T'as de jolies dents, exagère-t-il en examinant la dentition de Louise. Je la connais par cœur celle-là, je pourrais même la faire en playback.
- Merci, minaude-t-elle.
- Hein Nath, c'est ouf, renchérit-il. Elles sont tellement blanches qu'on dirait des perles.
Petite phrase gentille avant l'attaque fatale de déstabilisation.
Il est grandiose. « Ô Muse, conte-moi l'aventure de l'Inventif ». Tu es culotté mon cher Victor. Y'a dix minutes tu as fait le coup du tour de magie à sa copine, celui où tu promets que tu peux lui toucher sa poitrine sans effleurer une fibre de ses vêtements. Succès modéré.
Ouvre tes mirettes Nathanaël, ce qui va suivre va sûrement valoir ces cinquante minutes de patience à attendre le point de saturation de ces deux innocentes victimes.
La fille rougit lorsque Victor fait la comparaison avec les perles.
- C'est gentil, murmure Louise en se tournicotant une mèche de cheveux, avec une pointe de gêne dissimulée derrière un sourire presque forcé.
Victor enchaine :
- D'ailleurs, ça ferait un magnifique collier autour de ma teub !
Je crois qu'elle a fait un arrêt cérébral pendant environ deux secondes et la gêne dissimulée s'est transformée en désappointement dévoilé. Il n'y a aucun mot. Un seul geste. Le contenu du verre de Louise se retrouve sur le visage de Victor.
Une fois encore, échec de la méthode. Puis elle part sans nous regarder. Sa copine me laisse son numéro sur un bout de papier mais avant qu'elle n'ait le temps de me le donner, Victor le lui arrache des mains.
- C'est ton numéro !? Ok j'le prends, lui il a une meuf. Je t'écris c'soir !
Il n'est pas croyable. La fille, consternée par la situation, rejoint rapidement sa copine, en lâchant un : « Laisse tomber avec moi, no way ! ».
Il la regarde partir en matant sa chute de reins.
- Bon...ça s'est plutôt bien passé, prononcé-je.
- Non mais c'est juste que je n'ai pas encore réussi à atteindre la phase trois ou la fille se dit : quel salopard. Mais un salopard qui sait s'y prendre !
Puis, en quelques phrases, Victor se confie. Il aimerait vraiment trouver une fille avec qui ça marche. Il croit dur en sa méthode et espère indéfiniment trouver LA fille qui va lui correspondre, celle qui va aimer Victor tel qu'il est.
Il me faut une parade là... Je baisse les yeux sans répondre.
- J'comprends pas. Inutile de le préciser, tout le monde le sais. Qu'est-ce qu'elles attendent de moi ? Tu peux m'le dire !?
- ...Ce que veulent les femmes, c'est d'être maîtresse de leur destinée. Elles ne veulent pas d'un mec qui leur impose ce qu'elles doivent faire, comment et quand. Il n'y a pas de méthode. A moins d'être extrêmement doué, tu ne peux pas les amener là où tu veux avec un schéma préconçu. Elles veulent être libres de choisir.
- Libre de choisir, répète-t-il d'un air pensif. Qu'est-ce qu'il nous réserve ?
- Ok, lève-toi, on prend un dernier verre au bar et la prochaine meuf qui vient prendre une conso, j'la drague avec diplomatie.
Dix minutes passent. Toujours rien. Alors j'improvise.
- Que penses-tu de la fille assise derrière moi, la rousse avec le haut coloré.
Il la regarde de manière peu discrète et me sort sans ménagement :
- T'es malade ! Elle est laide à faire dégueuler un tas de bois ! T'as vu les chicots qu'elle a, c'est un coup à te rayer le casque !
- Elégant phrasé.
- Bah quoi ? Faut appeler une bite, une bite !
- Ce n'est pas cela la vraie expression Victor.
Dix autres minutes se passent, lorsqu'une fille relativement mignonne vient s'accouder au bar non loin de nous et commande un cuba libre. Victor me fait un léger signe de tête qui veux dire c'est la bonne, j'attaque. J'adopte l'idée d'un hochement de tête. Il se redresse et se tourne vers la fille qui tire la gueule de manière préventive par anticipation.
- Salut.
- Salut, répond-t-elle. Elle est en réalité moins mignonne de face.
- Tu crois au coup de foudre, ou bien est-ce que j'dois continuer à te baratiner ?
La fille venant juste d'être servie part sans daigner regarder Victor. Classique.
- Bah là j'lui ai laissé le choix ! S'indigne-t-il.
- Elle devait être de mauvaise humeur, inféré-je en me levant pour enfiler mon manteau.
- Attends Nath, encore une ! S'te plaît.
- Non. C'est bon, nos verres sont vides, on y va. En tout cas moi j'y vais.

(sans)timentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant