Chapitre XXXV

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« La chance n'est rien d'autre que la rencontre de l'opportunité et de l'attention. »
Deepak Chopra

Les porteurs ont ramené un corps tout à l'heure. Avec les vents violents qu'il y a eu hier, une taule ondulée en acier galvanisé s'est décrochée du toit de la grange du voisin et a scindé en deux, dans le sens de la largeur, M. Marchal. Les agents funéraires qui ont ramené le corps, n'ont rien trouvé de mieux que de le mettre dans deux cases séparées... Avec une étiquette « Cyril Marchal (haut) » et « Cyril Marchal (bas) ». Quand je vous dis qu'on rigole bien dans le funéraire.
Je viens de finir de laver les salons inoccupés. Coline est dans le labo, alors je passe la voir rapidement. Elle effectue un soin sur Mme Crouzier. D'un coup elle me sort :
- Ça te plairait qu'on le fasse là, sur la table d'opération ?
- Tu veux transformer la table d'opération en table de procréation ? Non merci ça ira, je connais les risques infectieux.
Elle me regarde avec un large sourire.
- Bonne réponse... J'avais peur que ça te plaise comme idée.
- ...Tu me testes en réalité ? Comme avec ta copine Solveig.
- Euuhh oui ! Mais on sait très bien toi et moi que tu ne portes aucune importance à tout cela. De plus, tu le fais aussi.
- On se connaît déjà trop.
- Ça en deviendrait presque désarmant ! Elle a raison, c'est la première fois que j'ai cette étroite union avec une de mes partenaires. Une symbiose à vous en faire devenir colinogame. C'est quoi son secret ?
En toute transparence, j'ai un peu harcelé Gabriel à ton sujet. Comme je sais que vous êtes proches et que vous échangez pas mal, j'ai fait ma curieuse.
- Espèce de midinette.
- Je reste une fille... Tu sais quel statut il te donne ?
- Oui. Il dit que je suis un mâle Alpha 2.0.
- C'est pas mal dans l'échelle des valeurs humaines.
- Si on veut. A en croire la destinée qui m'attend, je serais une banque de sperme sur pattes, ayant pour mission de trouver les incubateurs d'entité carbone femelle dignes d'éviter l'apocalypse.
- L'apocalypse, rien que ça !
- Par apocalypse, Gabriel entend une invasion de cas sociaux généralisée. Seulement d'un autre coté il m'envisage comme un fantasme, ou du moins il fantasme sur l'idée de me convertir.
- Mon mentor veut se taper mon mec... C'est accrocheur comme titre.
- Mon mec ? Repris-je avec une tête déconfite.
- Ben oui. Comment dois-je t'appeler autrement ?
- ...Imperator, ça suffira.
- Je vais y penser. Sinon jeudi soir tu es libre ?
- Oui. Je te propose une soirée speed-dating à la brasserie des Détracteurs.
- J'avoue que l'idée aurait pu me plaire... Tu vas peut-être trouver ça égoïste de ma part mais je te veux pour moi toute seule jeudi, c'est MA soirée Nathanaël.
- Ah... C'est costumé ?
Elle sourit avec un air coquin.
- Viens comme tu veux, moi je ne porterais aucun vêtement.

Elle a tenue parole. J'arrive à la porte de son appartement, elle m'ouvre entièrement nue. Dans un geste rapide, Coline attrape mon tee-shirt et me tire à l'intérieur, pour refermer la porte derrière moi. Sa poitrine collée à mon torse, elle respire d'abord près de mes lèvres, sans m'embrasser. Il parait que dans Le Veda, embrasser signifiait « inhaler l'âme de l'autre ». Est-ce qu'elle inhale mon âme ? Tendrement, elle effleure ma lèvre inférieure. On échange des regards, on joue avec nos lèvres, à un moment elle me mordille délicatement... Coline maitrise l'art du baiser. C'est presque comme si elle s'employait à déposer des baisers différents à chaque fois. Tout en douceur, elle m'attrape par le poignet et me tire jusqu'au canapé où elle me fait asseoir. Dans une ambiance tamisée et sur du Moriarty, la maîtresse de maison effeuillée, fait quelques allers-retours de la cuisine jusqu'à la table basse, pour déposer de quoi prendre un apéritif sommaire. Et moi je me perds dans la contemplation de son corps. Comme si je mémorisais chaque partie de son anatomie, chaque courbe, chaque ligne.
Elle parle naturellement, sans aucune pudeur ni dans la voix ni dans la posture. Non seulement elle a un très beau visage mais elle a aussi un corps bien proportionné et des mensurations harmonieuses. Mon cerveau est en train d'apprendre les détails qui font que c'est elle.
J'étudie sa peau et l'histoire qu'elle raconte. Aucun piercing, pas de tatouage. Quand elle me tourne le dos, elle offre à voir ses salières de Vénus bien dessinées. Je mémorise la disposition de ses quelques grains de beauté, la cicatrice sur le bas ventre, probablement l'appendicite. J'observe ses épaules, son cou. Il y a un détail que je trouve magnifique chez une femme, c'est la zone située sous la mâchoire inférieure, ces quelques centimètres carrés de peau entre la pointe du menton et la gorge. Là où certains ont un double ou triple menton, Coline à la spécificité d'avoir un angle droit des plus parfait. C'en est presque voluptueux.
Pendant que nous dégustons un cocktail maison à base d'amaretto et de jus d'ananas, elle m'informe qu'elle a commandé des sushis et nous parlons de sujets intéressants. C'est cela en fait... Elle m'intéresse. C'est ce que j'apprécie avec elle, on ne passe pas tout notre temps ensemble mais le temps qu'on passe est de qualité. On dialogue facilement et on se charrie aussi. C'est indéniable, nous sommes complices.
Quand le livreur finit par sonner, j'y vais. Quoi que ça ne l'aurait probablement pas dérangée de lui ouvrir dans le plus simple appareil. Juste par jeu. Pour me tester une nouvelle fois.
Nous dînons sur son mange debout transparent, assis sur ses tabourets de bar, en reprenant le fil de cette conversation que l'on tenait, avant de se faire interrompre par le livreur.
Pour finir, nous commençons une nouvelle série ensemble. Rien d'exceptionnel en soi. C'est ce qui rend la chose tellement appréciable. On apprend à se connaître en construisant une relation vivante et créative. Je crois qu'on s'est endormi devant le début de l'épisode trois.

(sans)timentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant