Chapitre V

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« En vous donnant la vie, on vous offre la mort. »
Jemiai Medhi

Heureusement, ma vie ne tournait pas uniquement autour de l'orbite Victor/Sarah et de ce huit clos infernal. Par chance, ou pas, je travaillais depuis quelques années en tant que conseiller funéraire.
Cette profession est bien souvent méprisée par le grand public. Elle est trop souvent incomprise et donc abhorrée. Elle véhicule une image du commerce de la mort qui profite de la peine des gens. Ce ne sont pas les reportages à charge qui passent sur les chaines du service public une fois par an qui vont dire le contraire. Vous savez, ceux sur le business de la mort qui démontent les pompes funèbres.

Cela fait bientôt trois ans que j'exerce le métier de conseiller funéraire. J'adore mon métier.
Premièrement, parce qu'il m'offre un panel d'émotions extraordinaire. Lorsqu'une famille passe la porte pour organiser les obsèques, c'est comme un buffet de sentiments à volonté. C'est une fausse idée reçue de croire que les gens pleurent systématiquement dans mon bureau. Je dirais que cela concerne à peine 5% des familles. Bien sûr il y a la peine, la tristesse et la douleur qui ressortent fréquemment mais vous rencontrez aussi : la peur, l'anxiété, l'effroi, la panique, la contrariété, l'agressivité, la colère, la culpabilité, la honte. Parfois même le soulagement, la réjouissance, la satisfaction, la joie. Une vraie corne d'abondance.
De plus, je n'ai pas à témoigner et prendre part à la peine des gens et cela ça me plaît. C'est pour cette raison que je ne présente jamais mes condoléances. Cette formule toute faite est répétée par psittacisme mais personne ne sait vraiment ce que cela veut dire. Le verbe condouloir signifie compatir à la douleur de quelqu'un. Dans notre métier, on ne s'approprie pas le deuil. Je n'ai pas à compatir, les gens n'attendent pas cela de moi. La famille en deuil a besoin d'être comprise, rassurée, de poser des questions, qu'on anticipe ses besoins... Moi j'organise.
D'où le deuxièmement, c'est le côté organisationnel qui me séduit. L'organisation d'obsèques ça se passe toujours de la même manière, la forme change mais le fond reste identique. La famille arrive, je ne dis plus bonjour. J'ai eu quelques fois des personnes qui m'ont sorti : « Qu'est-ce qu'il a de bon ce jour !? » sur un ton plus que désagréable. Alors maintenant j'entame ainsi :
« Messieurs, dames, je me présente Nathanaël, c'est moi qui vais vous accompagner pour l'organisation des obsèques. Vous voulez un café ? Un verre d'eau ? » ...Champagne ?
Et je commence. Je les reçois dans un bureau de réception famille et demande si le défunt avait des volontés particulières. Ecoute active avec prise de notes, choix du cercueil, orientations vers les prestations que l'on propose et récapitulatif du déroulement vu ensemble. Si cela colle avec les desideratas de la famille, je check avec mon boss pour la planification, passe mes coups de téléphones aux divers acteurs qui rentrent en compte, en parallèle je saisis tout sur ordinateur et enfin je sors le devis et la commande qu'ils signent et me versent un acompte. Cela prend environ une heure trente. Les gens me remercient pour mon écoute, mon tact, mon professionnalisme et sortent du bureau soulagés que l'organisation soit planifiée du début à la fin.
Et troisièmement, on ne peut pas parler de vocation dans notre domaine. J'imagine qu'aucun enfant, lorsqu'on lui pose la question : « Tu veux faire quoi quand tu seras grand ? » ne répond « Je veux me diriger vers un master en croquemorologie ! » Mais compte tenu de mon cursus universitaire, mes excellentes dispositions psychologiques, mon calme et ma discrétion, je ne vois pas de profession plus appropriée.
J'ai bien conscience que le funéraire n'est pas un corps de métier qui fait rêver les gens. Pourtant il y a le mot « fun » dedans. J'y trouve mon compte. Déjà je n'ai pas pour ambition de faire rêver les gens et de plus cela a le mérite de faire une présélection naturelle de mes relations.
Pour avoir déjà entendu dans la bouche de femmes des phrases comme :
« Il est photographe, j'aimerais trop faire une séance photo avec lui. »
« Il est vétérinaire, c'est trop bien il pourra soigner mon chien. »
« Il est restaurateur, j'ai hâte de goûter ses petits plats mijotés. »
Bon d'accord, ces phrases viennent toutes les trois de la bouche de Sarah mais je suis certain qu'elle n'est pas la seule à penser ou verbaliser cela.
Le funéraire, ce n'est pas le même registre.
« Il est croque-mort, c'est...c'est... »
Visiblement, pas de fantasme ou d'intérêt professionnel à côtoyer un croque-mort. Eventuellement, si vous venez de perdre un proche.
Il est déjà arrivé qu'à l'annonce de ma profession, la personne en face de moi se sente mal à l'aise. La peur de la mort et tout ce qui gravite autour, l'amène à considérer cette fonction comme répugnante et par le fait, il faut vite s'en éloigner...comme les pestiférés à l'époque. Oui, je ne suis pas architecte d'intérieur...quoique, ça compte la dernière demeure ? Mais si être opérateur funéraire est un dégoût sans commune mesure pour vous, alors effectivement, par économie de temps et d'énergie pour tout le monde, passez votre chemin.

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