Chapitre XXII

25 3 0
                                    

« C'est au moment où vous prenez votre décision que vous déterminez votre avenir. »
Tony Robbins

Après ces quelques mois compliqués pour Evalina, nous avions tous besoin de nous changer les idées. Quoi de mieux qu'un voyage.
Fer à repasser à la main, je m'emploie au plus dur travail du conseiller funéraire...le repassage de chemise. Petite préférence pour l'hiver, beaucoup moins de surface à défroisser. Avec la veste de costume en permanence sur le dos, il suffit de repasser l'apparent : le devant et le col. L'été, à plus forte raison quand vous faites des cérémonies par trente-cinq degrés au cimetière, costard noir, pas d'ombre,... Là vous tombez la veste dès que vous le pouvez et il vaut mieux avoir fait un repassage intégral.
De la table à repasser, je participe au débat sur les potentielles destinations de vacances :
- On a qu'à aller à Dam !? Annonce Victor.
- Où ? Demande Sarah.
- Amsterdam, lui souffle gentiment Evalina, assise à côté d'elle sur le canapé.
- Qu'est-ce qu'on va aller faire sur une île de cinquante-huit kilomètres carrés ? Tu t'intéresses à la volcanologie maintenant ?
- Mais de quoi tu parles !? Rétorque Victor qui ne voit pas que je me moque de lui.
- De l'île d'Amsterdam en terre australes et antarctiques française... Pas toi ?
- Bah non ! J'parle d'Amsterdam en Hollande.
- Pourquoi Amsterdam ? Relance Sarah.
- Sûrement pour faire du ski, placé-je avec légèreté, en mettant sur le cintre la chemise blanche que je viens de terminer de repasser.
- Mais y'a pas de montagnes en Hollande ! S'exclame Sarah.
- Ah oui, je confonds avec la Belgique.
- Et tu veux faire quoi Mingus à Amsterdam, à part la tournée des coffee shop ?
- Certainement le musée de la tulipe, rapporté-je en attrapant une autre chemise à déchiffonner.
- Bah on peut... Nan ça c'est hors de question ! On peut y aller trois jours et deux nuits, petite auberge de jeunesse, ensuite j'fais le plein dans un ou deux coffee tranquille, pis on visite un musée, le Heineken par exemple. Le soir, bon resto et visite du quartier rouge. C'est pas génial comme plan ? Et on recommence le lendemain !
- Personnellement j'aimerais du soleil et pouvoir bronzer un peu, signale Evalina.
- Ça vous dit pas plutôt d'aller à Ibiza ? Moi j'y retournerai bien.
- T'es folle c'est trop reuch Ibiza ! Proteste Victor.
Je les laisse converser, je me plierais à la décision finale.
Nous avons fait un tour de table sur les langues parlées par chacun d'entre nous. Evalina a un bon niveau en anglais, se débrouille en italien et baragouine quelques mots de tchèque et d'allemand. Pour ma part, je maitrise ce qu'il faut en espagnol et je me défends en anglais. Victor est victorlingue et a quelques notions en français. Quant à Sarah, elle a fait anglais LV1 et allemand LV2, l'une comme l'autre ne sont qu'un vague souvenir d'apprentissage de l'éducation nationale « Gutten tag, ich bin Sarah » et c'est un peu près tout ce qui lui reste.
Puis, à force de recherche, nous sommes tombés d'accord.
- Ça vous direz d'aller en Andalousie ? Demande Evalina.
- Cela me convient, intervins-je. J'aimerais bien aller à Malaga voir le musée Picasso.
- Oh oui à Malaga, comme ça on pourra passer des aprèm à bronzer sur la plage de la Costa del Sol ! Se réjouit Sarah. J'ai envie de lui faire un bisou...avec le fer à repasser.
En m'adressant à Evalina :
- ...Je peux modifier ma réponse ?
La décision a été actée par tout le monde. Reste à faire le point sur les destinations, les hôtels, le budget,...
Après sept chemises repassées et une pause thé mûres sauvages...
- Donc ça fait environ quatre-vingt euros par jour et par personne pour la bouffe et l'hôtel ! Annonce Evalina derrière l'ordinateur portable qu'elle tient sur ses genoux, prête à faire les réservations.
- Comme on a prévu de rester six jours... Alors heu huit fois six... Heu quarante-six...
- Ne te fatigue pas Mingus, ça fait quatre cent quatre-vingt euros, sans les billets d'avion. 

Me voilà de nouveau en semaine de nuit, cela tombe environ une fois par trimestre pour chaque conseiller du secteur. La veille de prendre l'astreinte, je devais absolument repasser à l'agence afin de déposer un dossier que j'avais embarqué pour fignoler à la maison. Comme j'étais de repos le lendemain et qu'accessoirement il est interdit d'emporter les dossiers avec soi, je n'avais pas d'autres solutions.
Il est un peu plus de 22h00 quand j'insère les clefs dans la serrure de la porte du magasin. Je me dirige vers la centrale où l'on coupe l'alarme et bizarrement elle n'était pas enclenchée. Un oubli. Dossier à la main, j'avance vers l'espace commun où se trouvent tous les dossiers. Quand en passant devant la porte de mon responsable, des bruits sourds se font entendre. Un cambrioleur ? Il aurait désactivé l'alarme ?
Puis soudain, retentissent des gémissements de femme. La porte est pratiquement fermée mais laisse juste de quoi passer un doigt pour l'ouvrir sans se servir de la clanche. Doucement, j'ouvre la porte sans bruit... Tiens tiens, Monsieur Chevalier le caleçon sur les chevilles, en train de forniquer sauvagement, avec une jolie black, sur son bureau.
Ne vois-tu pas là une opportunité qui s'offre à toi Nathanaël ?
Ils paraissent tous deux très concentrés à la tâche, alors je toussote ostensiblement. En un quart de seconde, les yeux de mon responsable s'écarquillent et je sens la panique l'envahir. Il va transpirer mais plus pour les mêmes raisons.
- Putain ! Qu'est-ce tu fous là !? S'égosille-t-il en se retirant de la fille. Cette dernière n'a pas l'air affolée plus que ça par le fait que je les surprenne.
Dégage d'ici !
Il remonte son pantalon.
- J'espère que je ne tombe pas mal, souligné-je en m'asseyant confortablement sur le premier siège devant moi, je passais juste déposer...
- J'en ai rien à foutre ! T'es sourd ou quoi !? Je t'ai dit de dégager !
La jeune femme expire tout en redescendant sa jupe et se tourne vers mon responsable en lui tendant la main. Il vient à peine de fermer son bouton de pantalon qu'il plonge la main dans sa poche et en sort un billet de cent euros. Une fois rémunérée, elle s'en va gracieusement en tortillant des fesses.
Je laisse échapper un sourire.
- Ça te fait rire p'tit con !? On va se détendre.
- Ecoutez, ce n'est pas parce que je garde mon calme que vous devez hausser le ton.
- Je te parle comme je veux et si tu ne te casses pas d'ici au plus vite...
- Quoi ? Vous allez me rosser de coups ? Pas très intelligent, surtout quand j'expliquerai, d'abord à la police et ensuite au tribunal, dans quelle circonstance vous avez voulu me faire taire.
Je sens qu'il bouillonne à l'intérieur. Puis après un court silence, il se reprend :
- Qui te croirait de toute manière ?
- Vu votre côte d'impopularité dans la boîte, je dirais... tout le monde.
Nouveau silence. Voyant que je ne décolle pas du fauteuil, il finit par annoncer :
- Bon qu'est-ce que tu veux ?
- J'attends vos propositions. A combien estimez-vous ma discrétion ?
- Tu me fais du chantage !?
Je détourne les yeux et saisis le cadre sur son bureau où figurent sa femme et sa progéniture.
- Que diraient Liliane et les enfants si ça venait à se savoir ?
Il marche d'un pas vif dans ma direction et me reprend violemment le cadre des mains.
Croyez-vous que l'image du père et du mari modèle, se révélant être un véritable salopard qui se tape des femmes de petite vertu sur son lieu de tra...
- Qu'est-ce que tu veux à la fin !? S'impatiente-t-il en me coupant dans ma diatribe.
- Vous voyez M. Régis Thuillier, celui que vous considérez comme votre esclave ?
- Hum !
- Vous lui foutez la paix.
Il me dévisage quelques secondes et émet un petit rire nerveux.
- C'est tout !?
- Non. Lundi prochain quand vous annoncerez le nouveau chef d'équipe, vous décernerez le titre à M. Thuillier. Avec la prime sur salaire qui va avec ainsi que tous les avantages, bien entendu.
- Mais n'importe quoi ! Il ne fait même pas partie des personnes retenues pour ce poste. C'était toi ou Albane, pas lui...impossible !
- Comme vous préférez, conclus-je en me levant du siège et en prenant la direction de la sortie.
Ce qu'il ignore c'est que j'ai un petit cliché de lui en compagnie de cette femme à la peau d'ébène dans une position très explicite. Au cas où. J'ai cette déformation de toujours garder un dossier sur chaque personne qui gravite autour de moi. Un secret, des révélations, un flagrant délit...les secrets inavouables sont les plus rares mais aussi les plus précieux. Il ne faut pas les divulguer sans réfléchir, ils doivent être utilisés au moment propice ou en cas de dernier recours.

(sans)timentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant