Chapitre VI

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« La plus grande faiblesse de l'être humain ce sont ses sentiments. »
Inconnu

Cet après-midi, je suis maître de cérémonie pour la famille que j'ai reçue trois jours avant. Les porteurs sont venus me chercher à l'agence, ils ont chargé le cercueil et nous prenons la direction de l'église. Après un cours de phallologie dispensé par le doctorant Benoît, qui dure quasiment tout le trajet en corbillard, nous arrivons à destination. Là, tout le monde nous attend et MC Nathanaël rentre en piste. C'est globalement le même enchainement, je me dirige vers la personne qui a pourvu aux obsèques, mon client, je suis son interlocuteur privilégié, je le rassure et lui explique le déroulé de la cérémonie. Je réponds à ses interrogations s'il y en a, puis remonte la nef pour aller à la sacristie trouver le représentant du culte qui va officier. Au passage, je m'assure d'un rapide coup d'œil que les porteurs fassent le nécessaire : disposition des fleurs, mise en place du cahier de condoléances et de la boîte à cartes, ainsi que toutes les autres tâches qui leur incombent. Bien souvent le curé n'est pas encore arrivé et c'est la grenouille de bénitier à qui je m'adresse qui me briefe sur les habitudes de ce dernier. Une fois que j'ai les infos, je fais demi-tour, je check la mise en place et je retourne voir mon client pour l'informer de tout cela. Si la famille souhaite que je prenne la parole pendant la cérémonie, je peux éventuellement le faire. Ensuite je vais retrouver mes porteurs qui m'attendent bien sagement le doigt sur la couture du pantalon à côté du corbillard, prêt à dégainer le cercueil à mon signal. Au moment où les cloches retentissent, ils ont mon aval et font leur numéro de claquette. Portage à l'épaule, j'invite la famille à suivre l'entrée du cercueil dans l'église. Je place les gens s'il le faut, pendant que les porteurs disposent le cercueil et tous les accessoires autour. Ensuite je coordonne les quatre porteurs : un au corbillard, un à la porte, un au registre de condoléances et le dernier au goupillon, si les gens veulent bénir le corps. En fonction du monde dans l'église, parfois je me mets au goupillon et l'autre porteur est en soutien pour diverses tâches. Quand le prêtre arrive, je fais lever les gens et lui laisse la place de chef d'orchestre. A ce moment-là, on a trois bons quarts d'heure devant nous...à attendre. Je laisse un porteur à l'intérieur de l'église et les trois autres peuvent vaquer à leur occupations...enfin, l'alcool reste prohibé. Non parce que c'est bien connu qu'à la belle époque, durant la cérémonie, les porteurs picolaient au bar du coin et revenaient bien torchés. Quand on voit que l'encensoir est allumé et que le curé commence à tourner autour du cercueil, c'est notre repère comme quoi nous allons bientôt reprendre la main. Les agents funéraires se mettent en position dans les starting block et une fois que le curé nous fait signe, ils font leur job et moi j'invite la famille à suivre le cercueil qui remonte la nef jusqu'au porche de l'église. Les porteurs remballent ensuite le matériel pendant que je remets les cartes et registres de condoléances à mon client avec le livret de famille mis à jour et les actes de décès. Je touche deux mots à mon client et lui explique la suite des festivités. Soit la famille nous suit au cimetière, soit au crématorium. Voilà le déroulement basique d'une cérémonie à l'église.

J'entre dans le bureau de tabac et attends désespérément que le monsieur devant moi finisse de faire valider ses dix tickets de loto. Il reprend en plus cinquante euros de tickets à gratter. Encore un qui taille des pipes à la Française des Jeux. C'est enfin à mon tour. Pas de réponse à mon « Bonjour », trop compliqué visiblement pour le buraliste. La seule phrase qui sort de sa bouche est : « Vous payez comment !? » Je lui montre ma carte bleue. Il pose le TPE devant moi et me fait signe que c'est bon. On peut dire des pompes funèbres mais ils sont d'un triste dans ce bureau de tabac et puis pas aimable avec ça, autant lui qu'elle. On dirait Lucrèce et Mishima Tuvache.
En sortant du bureau de tabac, sur qui je tombe ? Evalina et trois autres filles à la terrasse du café en face. Elle me voit et me fait signe de les rejoindre. Je parie qu'elle va me survendre, elle fait toujours ça devant des gens qui me sont inconnus.
- Je vous présente Nathanaël, mon univers, mon monde, mon empire, mon royaume, mon hégémonie, mon tout. Tout l'inverse de moi et mon double à la fois. Il travaille dans l'évènementiel, vingt-sept ans, célibataire...
- Ah non désolée, dommage, j'ai déjà un copain. Tant pis ! Enchaine l'une des trois, la plus vilaine. Laisse-la rêver Nathanaël, même si tu sais que tu pourrais lui vider ses glandes lacrymales en deux secondes.
- Comme tu dis, dommage.
- Assieds-toi Nath, je te présente les filles du Pasta B.
- Vite fait alors, j'ai des trucs à faire ensuite. C'est faux et je pense qu'elle sait que c'est faux. Elle me connaît trop.
- Alors Charline bosse au service avec moi et Julie et Stacy sont en cuisine.
- Nathanaël, enchanté. J'applique le protocole social.
- Et tu fais quoi dans l'événementiel ? Demande Charline.

(sans)timentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant