Entre nos lignes

4. Le rendez-vous

ELINA

C'est le grand jour.
Carine et moi nous voyons pour midi. Il est prévu que nous mangions ensemble, nous devons nous retrouver dans un restaurant situé dans l'avenue de l'opéra, non loin de l'Opéra Garnier, dans le 2e arrondissement. Il me tarde de la voir et de discuter du futur roman, en espérant que je parvienne à trouver une idée en béton d'ici là, pour lui proposer quelque chose car je ne supporterai pas de venir sans rien, quand bien même elle ne m'en voudra pas. Plus que l'éditrice qui m'a propulsé au sommet, Carine est devenue une vraie amie de laquelle je suis proche.
Un regard vers mon réveil — à peine 7h du matin, visiblement le jet lag m'atteint encore — je me lève en entendant Duchesse japper au pied de mon lit, signe qu'elle a envie de faire ses besoins.

— Oui mon bébé, on va y aller, lui signalé-je.

Elle aboie, mais comme il est encore très tôt, je lui lance un biscuit pour qu'elle se taise et ainsi, qu'elle ne réveille pas les voisins.
J'enfile mes pieds dans mes chaussons douillets, troque mon bas pyjama pour un jogging puis me dirige vers le salon-salle à manger où je lui remplis sa gamelle dos ainsi que son bol de croquettes. J'attrape son harnais et sa laisse dans le placard de l'entrée ainsi que mon manteau, mon bonnet et mon écharpe et une fois ma chienne restaurée, nous sortons toutes les deux de mon appartement. Trop heureuse, elle couine alors, pour aller plus vite, je décide de prendre l'ascenseur. Comme elle n'aime pas ça, je la prends dans mes bras.
À l'extérieur, je la repose par terre et elle ne tient pas deux secondes avant de faire pipi contre un poteau. Malgré l'heure matinale et les températures fraîches, pas mal de personnes se trouvent dans les rues.
Habitant rue Gabrielle, comme à mon habitude, je remonte la rue Chappe pour me rendre au square Nadar, en-dessous du réservoir du quartier, là où beaucoup de maîtres avec leurs chiens se trouvent. Avec un peu de chance, nous allons voir madame Batista, une quinquagénaire avec un petit teckel, que Duchesse adore.
Dans le square, Duchesse est comme une folle ; elle tire sur sa laisse et terrorise un chien pourtant plus gros que lui en lui aboyant dessus. Le propriétaire et moi nous regardons et éclatons de rire. Mais je suis coupé dans mon élan quand ma chienne se dirige en courant vers le petit teckel de madame Batista. Surprise, mon bras par en avant et soudain prise de douleur d'estomac, je pose une main sur mon ventre. J'arrive vers madame Batista presque essoufflée.

— Oh, bonjour Elina ! me salue-t-elle. Vous avez passé un bon Noël et un bon Nouvel An ?
— Bonjour, madame, oui, c'était parfait. Et vous ?
— J'ai eu mes enfants, ça ne pouvait qu'aller.

Je pose mon regard sur Duchesse et Bernard — le teckel — et montés sur leur deux pattes arrière, ils sont un câlin, je ne résiste pas à capturer l'instant. Madame Batista et moi discutons pendant quelques minutes avant que je ne la quitte pour rentrer chez moi, il fait trop froid pour une longue balade, ça attendra les jours meilleurs ou du moins, des températures positives.

Après un bon petit dej' et je pars m'enfermer dans mon bureau où Duchesse me suit comme mon nombre. Mais, intelligente et sachant très bien qu'elle ne doit pas me déranger, elle se pose dans son panier à côté de mon bureau pour y dormir. Prête à travailler, j'attrape une feuille volante et, au crayon à papier, y note toutes mes idées qui me passent par la tête. Que ce soit un titre, des noms de personnages, sur l'univers, la particularité de chaque héros... tout y passe, mais rien ne me satisfait vraiment. Frustrée, je froisse la feuille et l'envoie au loin. Duchesse me regarde, la tête penchée, se demandant sans doute ce qui m'arrive.

— Je crois bien que j'ai perdu mon imagination, ma fille, lui dis-je, le regard las.

Cependant déterminée et bien décidée à aller voir Carine avec quelque chose, je lance ma playlist spéciale Mozart, mon compositeur favori toutes époques confondues, pour me donner la pêche et surtout, la motivation. Et quoi de mieux que Les noces de Figaro pour cela ? Je ne connais rien de mieux, c'est sur cette composition que j'ai trouvé toutes mes idées pour Un royaume pour la gloire, ma trilogie à succès. Les premières notes d'ouvertures résonnent dans mes enceintes et, comme galvanisée, je reprends une autre feuille en coupant toutes mes pensées de choses néfastes, comme les commentaires parfois haineux sur mon dernier roman, pour me concentrer uniquement sur le boulot.
Je noirci la feuille avec rapidité et le sourire aux lèvres, contente d'avoir retrouvé ma créativité. Dans ma tête, mon nouveau monde inventé s'insinue déjà dans mon esprit.
Naxisse.
Je note le nom de mon futur royaume fantastique en lettres majuscules et au stylo rouge, tout au-dessus de la feuille, satisfaite par ce mot qui m'est apparu comme une évidence.
J'écris tout ce qui me passe par la tête avec frénésie, si bien que près de dix minutes plus tard, j'en ai mal aux poignets. Je lâche mon stylo et me lève d'un bond, toujours bercé par la musique, et me rends aux toilettes puis à la cuisine où j'avale un verre entier de jus d'orange. De retour à mon bureau, je cale une main dans le bas de mon dos et l'autre sur mon ventre et me force à contrôler ma respiration. Le mal de dos est vraiment quelque chose de terrible, si je pouvais je mettrais une ceinture médicale pour le garder bien droit, mais mon métier m'en empêche. Assise sur une chaise en face d'un écran d'ordinateur, il est pratiquement impossible d'écrire avec le dos droit. Et puis, de toute manière, je sais que ce n'est que passager. Je caresse mon ventre du bout du plat de la main et souris. Un sourire qui s'évanouit très vite quand mes yeux se posent sur mes notes et que je les relis.
Punaise, ce n'est pas folichon...
Je m'empare d'un stylo noir, barre ce qui ne me plaît pas, pour au final froisser la feuille et la jetr à la poubelle, satisfaite par rien du tout.
Mon téléphone vibre, c'est Carine qui m'envoie l'adresse exact du restaurant, avant de me demander ceci :