La Inaki

53 5 4
                                    

Dans la petite paillote de fortune, à l'abri derrière le grand paravent en bois de bambou, usé par le temps, Neria se dévêtit avec une certaine appréhension. Ezi était partie chercher de quoi équiper Neria et venait juste de revenir lorsque une voix chevrotante l'interpella depuis l'extérieur. Elle tendit précipitamment les habits à Maco, qui les lança habilement par-dessus le paravent. Les vêtements en cuir clair glissèrent jusqu'à Neria, qui les saisit avec soulagement. Il examina longuement le pagne, simple mais ingénieusement tressé et teinté en rouge clair, vérifiant plusieurs fois que les liens étaient bien serrés avant d'oser sortir de derrière son refuge.

— Tiens, plus qu'à enfiler ceci, lança Maco en l'aidant à passer autour de lui un carquois et un petit arc.

Neria fut surpris par le poids inattendu du carquois, qui lui comprima immédiatement l'épaule gauche, douloureusement meurtrie depuis sa rencontre avec le Totem. Mais lorsqu'il vit que Maco en portait deux, il refoula la plainte qui montait en lui et se redressa bravement. Ils quittèrent tous deux la maisonnette et découvrirent Ezi en pleine conversation avec une vieille dame à la peau parcheminée, ses longues tresses noires entrelacées de perles et de plumes. Le visage de l'aïeule était entièrement tatoué de symboles mystiques : des lunes, des étoiles, des signes courbes évoquant des demi-cercles. Neria observa avec fascination ces marques étranges. Chez lui aussi, les hommes et les femmes portaient des marques sur leurs bras. Une barre correspondait à un ennemi tué. Avant d'être emporté par une tempête indomptable, son père avait été marqué quatorze fois. Sa mère en avait trois, Neria, son frère et sa sœur aucun. Neria observa les tatouages faciaux de la vieille dame. Ils ne ressemblaient en rien à ceux de Lumrose Ici, les tatouages semblaient plutôt chuchoter des secrets anciens, des énigmes inscrites dans la chair. Neria crut même reconnaître quelques-uns des symboles du Conte des Merveilles, lus autrefois lors de longues soirées d'hiver.

Soudain, le regard perçant de la vieille dame se posa sur lui, froid et accusateur. Mal à l'aise, Neria détourna les yeux, mais sa curiosité fut plus forte. Il les releva juste à temps pour voir la vieille s'avancer vers lui en criant des paroles incompréhensibles, ses bras maigres agités d'une colère sourde.

— Oma kao si la politako ou mé...

Ezi arriva en courant avant la vieille dame et fit signe aux garçons de s'enfuir. Ils s'élancèrent alors dans la jungle, Neria peinant à suivre le rythme effréné des deux Atéoriens. Pourtant, la peur de la vieille femme lui donna la force de se dépasser. À bout de souffle, presque à deux doigts de vomir, il parvint enfin à semer leur poursuivante et rejoignit Ezi et Maco, qui l'attendaient en s'amusant à crapahuter dans les grands arbres.

— Tu voulais boire un chai avec la vieille Ikani ou quoi ? se moqua Ezi en sautant de sa branche.

Ikani ? répéta Neria, intrigué.

— Oui, c'est comme ça qu'on appelle les sages plus âgés. Elle est bien plus vieille et plus sage que quiconque ici.

Neria choisit d'associer ce mot à grand-mère.

Chai, c'est un thé ? supposa Neria.

— Oui, sans doute. C'est une boisson délicieuse à base de myrtilles et de baies Okao... Miam, j'en salive rien que d'y penser... répondit Ezi en rêvant tout haut.

— Qu'est-ce qu'elle me voulait, cette Inaki ? Je n'ai rien compris à ce qu'elle disait...

— Hum. Oui. Eh bien... Je vais essayer de trouver les bons mots...

Elle tourna sur elle-même trois fois.

— Disons qu'elle t'a traité d'intrus qui sème le chaos, répondit Ezi avec un sourire désarmant.

— Charmant l'accueil, soupira Neria.

— T'inquiètes, elle a dit ça de nous à notre mère aussi lorsqu'on est nés... ajouta Maco en riant. Fais pas attention à ce qu'elle dit, elle un peu cocolo.

Les Lunes d'Atéor - Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant