L'expérience

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Elle s'approcha de lui, plongeant son regard dans ses yeux, fascinée par leur différence de teinte : l'un bleu clair, presque argenté, l'autre d'un bleu profond, comme un ciel de nuit sans étoiles. Elle trouva cela fascinant. Elle se concentra sur leurs nuances qui semblaient l'accueillir. Elle avait chaud, très chaud, ce qui était étrange, parce qu'elle avait toujours froid. Elle avait mal aux pieds, et même, elle sut qu'une épine s'était coincée sous son pied droit. Ce ne lui était jamais arrivé, même quand elle marchait sur les ronces en étant bébé. Son corps souffrait, elle ressentit la douleur dans son épaule gauche. La douleur descendait dans le dos, sinuant autour de l'empreinte du Totem. Elle la suivit et en fit le tour en entier, même si cela faisait mal. Soudain, elle sentit une sorte d'inconfort vif, mais elle ne pouvait s'empêcher d'explorer ces sensations inédites. Bientôt, elle oubliait peu à peu qui elle était. Une tente dans les plaines sauvages apparut dans son esprit. Sa maison lui manquait. Meta et Ida lui manquait. Qui étaient-ils ?

— Ezi. Ezi. Ezi...

Une voix lointaine l'appelait. Elle se ressaisit, se reconnectant à elle-même.

— Ezi... Reviens. Suis ma voix.

Maco. Elle suivit cette voix rassurante et soudain, elle se retrouva face aux yeux de Neria, emplis de peur. En se tournant, elle vit que Maco lui tenait la main, lui aussi terrifié. Neria recula brusquement, effrayé par ce qu'il venait de vivre.

— Maco, Maco, que s'est-il passé? Demanda Ezi, paniquée à son tour.

Elle avait maintenant très peur parce qu'elle ne se rappelait pas des minutes qui s'étaient écoulées depuis qu'elle avait suivi le chemin de l'empreinte.

— Ezi, calme-toi, murmura Maco en la prenant dans ses bras solides.

Elle tremblait de tous ses membres. Elle glissa lentement dans un sommeil profond, si profond que Maco dut l'allonger sur le sol, veillant sur elle comme un protecteur. Mais la colère grondait en lui.

— Neria ! cria-t-il, la voix tranchante et grave faisant s'envoler les oiseaux au-dessus des cimes dans un croassement infernal.

Neria s'était réfugié dans le courant d'air, planant à plus de cinq mètres au-dessus de la source. Maco, sans perdre une seconde, sauta sur un arbre, grimpant les branches une par une avec une exceptionnelle agilité et une rapidité extraordinaire, jusqu'à se retrouver à la hauteur de Neria.

— Qu'as-tu fait à ma sœur ? vociféra-t-il en direction de Neria.

— Mais rien ! se défendit Neria.

— Viens ici !

— Non !

Maco savait qu'il ne pourrait pas forcer Neria à redescendre en l'agressant. Il prit une profonde inspiration, essayant de se calmer.

— Tu ne l'as pas fait exprès ? demanda-t-il enfin, adoucissant son ton.

— Mais non ! Je ne suis même pas sûr de ce qui s'est passé !

— C'était comme si elle devenait... toi, murmura Maco, encore sous le choc de ce qu'il venait de vivre, d'avoir eu l'impression de perdre sa sœur à tout jamais.

Neria, encore secoué, se rapprocha prudemment, s'asseyant sur une branche face à Maco.

— Je te jure que je ne sais pas qui s'est passé, dit-il avec sincérité. J'ai flippé aussi. C'était comme si je devenais elle. Enfin, comme si on fusionnait.

— Fusionner ? Je ne connais pas ce mot, répondit Maco, intrigué.

— — C'était... comme si elle et moi ne formions plus qu'un seul être...

Neria chercha ses mots. Il ne savait pas comment expliquer ce qui venait de se passer.

— C'était comme être deux et un à la fois. Peut-être comme lorsque vous communiquez en étant de parfaits jumeaux ?

Maco secoua la tête.

— Non, contredit-il doucement. Ma sœur et moi, on communique, mais on ne se ressent pas de cette manière-là.

— Ezi commence à être recouverte de lianes, remarqua Maco en commençant à redescendre. Il faut la dégager...

— Maco, attends ! l'interrompit Neria. Je te promets que jamais je ne ferai de mal à ta sœur.

Maco s'arrêta et tourna son regard vers lui. Dans les yeux de Neria, il lut une sincérité désarmante. Il hocha la tête et continua sa descente, suivi de Neria qui peinait à suivre son rythme. Une part de Maco se réjouissait secrètement que Neria ne soit pas aussi agile que lui. Mais au fond de lui, une amertume tenace grandissait. Il enviait Neria, ce garçon qui savait voler, et qui avait failli voler sa sœur.

Lorsqu'ils atteignirent Ezi, Maco la dégagea des lianes qui commençaient à s'enrouler autour d'elle et la souleva sur son épaule avec précaution. Neria les suivait, la tête basse, rongé par une culpabilité sourde. Il se reprochait d'avoir permis à Ezi de s'immiscer en lui. Il avait apprécié se décharger un peu de ses douleurs physiques et de sa peine émotionnelle quand elle était là. Il avait absorber l'énergie d'Ezi pour se soulager un peu, pour échapper à la douleur causée par la nature hostile environnante. Il l'avait absorbée et il avait trouvait ça agréable. Cette pensée le rongeait, et il marchait, honteux, comme un coupable.

Soudain, Maco s'arrêta net. Neria leva les yeux et vit ce qui l'avait figé sur place : un groupe imposant d'Atéoriens barrait leur chemin, l'air menaçant. Lorsque leurs regards tombèrent sur Neria, des murmures s'élevèrent, porteurs de colère et de mépris. Ezi, toujours sur l'épaule de Maco, commençait à reprendre conscience, mais Neria n'osait pas croiser son regard. Un vieil homme, aux traits sévères et au crâne lisse orné de boucles d'oreilles pendantes, émergea de la foule et s'adressa à eux, la voix grave.

— Inaki m'a informé qu'un étranger s'est introduit parmi nous.

Les regards des Atéoriens restèrent braqués sur Neria, lourds de reproches.

— Pour avoir enfreint nos lois en abritant un étranger, vous devez vous présenter devant le Conseil. Suivez-nous, ordonna le vieil homme d'une voix implacable.

Les Lunes d'Atéor - Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant