L'arrachement

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Barkeon, entouré de plusieurs Disciples, observait la scène avec impatience et excitation. Ils se trouvaient dans une vaste salle ornée de colonnes massives, éclairée par la lueur vacillante de nombreuses torches. Le sol, fait de marbre noir, semblait absorber toute lumière, tandis que des motifs complexes gravés dans la pierre ajoutaient à l'atmosphère oppressante du lieu. À côté de lui, Ametiste se tenait droite, telle une reine, vêtue d'une robe brodée de fils d'or et ornée de pierres précieuses qui brillaient à la lumière. Sa beauté éclatante contrastait avec la noirceur des lieux, Amatos sentait monter en lui une colère sourde. Il la dévisagea, déçu. Il avait cru qu'Ametiste était différente, qu'elle n'était pas comme ces femmes de la cité d'Aeris de maigre vertu, qui ne cherchaient que la fortune et les hommes puissants. Mais ici, à côté de Barkeon, elle semblait avoir fait son choix.

Un des Disciples s'approcha de Nikolai, portant une boîte en cuir sombre. Neria, à quelques pas de là, sentit une douleur brûlante dans son dos, là où son ancienne ombre était emprisonnée. Le lien était encore vivant, et il ressentait l'appel de détresse de la Réplique à l'intérieur. Le disciple ouvrit la boîte devant Nikolai.

— Oh mon dieu, ils lui font intégrer une deuxième ombre ! murmura Ezi, les yeux écarquillés, reconnaissant les rituels de la Flamme qu'elle avait maintes fois observés et auxquels elle-même avait été obligée de prendre part.

Elle n'en pouvait plus de voir de la souffrance, surtout après les semaines passées au service de Barkeon, où elle avait été témoin de tant d'atrocités.

Neria ressentit une vague de glaciale l'envahir. et, malgré sa propre douleur, passa un bras protecteur autour d'Ezi. Les chants des Disciples remplirent la grande salle, faisant frissonner les enfants par leurs lugubres intonations. La première Ombre s'éleva du corps de Nikolai, fusionnant avec l'autre, à l'intérieur de Nikolai. Leur puissance était telle que Nikolai se retrouva lévitant au-dessus du sol, son corps tordu par les tourments.

— C'est le même chant qu'à Aeris, tu te souviens, Neri ? murmura Maco à voix basse, le regard sombre.

Les chants montèrent en intensité, rendant les ombres plus violentes, plus chaotiques. Leurs formes noires tourbillonnaient autour de Nikolai, comme des bêtes incontrôlables. Puis, dans un craquement assourdissant d'os, les deux ombres se détachèrent, provoquant un hurlement de douleur si intense que même Ametiste vacilla, la main portée à sa bouche pour contenir une nausée. Les disciples refermèrent précipitamment la boîte, emprisonnant les créatures à l'intérieur.

Barkeon éclata de rire, un rire puissant et cruel qui résonna dans toute la salle.

— Enfin ! s'exclama-t-il. Partons maintenant chercher mon frère !

Il se leva d'un bond, entraînant Ametiste avec lui. Elle tenait dans ses mains la grosse pierre de lune. Autour d'eux, les disciples formèrent un cercle.

— Orgon, vieux frère, rendez-vous sur Hathor ! lança Barkeon d'une voix forte juste avant de disparaître dans un éclat de lumière.

La salle retomba dans le silence après leur départ. Amatos se précipita vers Nikolai, suivi de Maco. Le corps de Nikolai gisait, brisé et inconscient.

— Il faut lui redresser le dos, tiens-le bien, ordonna Maco à Amatos, qui obéit sans poser de questions.

Ensemble, ils retournèrent le corps de Nikolai avec précaution.

— Maintenant, tire...

Dès que Maco toucha le dos de Nikolai, celui-ci revint à lui en hurlant de douleur. Maco, sans perdre de temps, lui fit inhaler le contenu d'une petite fiole, et Nikolai s'effondra de nouveau dans l'inconscience. Avec un craquement sinistre, Maco redressa le dos de Nikolai.

— Aidez-nous à le porter jusqu'au bateau, demanda Maco à Ezi et Neria.

Ils le transportèrent avec précaution, traversant la petite plage de galets avant d'embarquer dans une petite barque que Maco et Amatos avait trouvé. Le trajet se fit dans un silence lourd, chacun encore sous le choc de ce qu'ils venaient de voir.

Ils accostèrent finalement sur une petite île battue par les vents. Une cabane modeste, faite de plantes et de pierres, se trouvait là, offrant un refuge rudimentaire. À l'intérieur, ils déposèrent Nikolai sur une couverture humide tandis que Maco allumait un feu pour réchauffer la pièce. Une lueur vacillante éclaira la petite pièce, où Ezi et Neria, se tenaient en silence, leurs doigts glacés s'entremêlant.

— Nikolai ne peut pas bouger et il a besoin de soins. Amatos ne le laissera pas seul, déclara Maco d'un ton grave, en sortant un vieux livre de sa poche.

Il l'ouvrit sur une carte de l'Ancien Monde, montrant une série d'îles glacées au nord.

— Amatos et moi pensons que la fille des Lunes se trouve sur l'une de ces îles. Si elle tombe entre les mains de la Flamme, ce sera la fin, expliqua-t-il en désignant l'île du bout du doigt. Sa sœur m'a dit qu'on devait la trouver. Avant eux.

— Comment être sûrs que ce n'est pas un piège ? intervint Neria, méfiant. Luméis a bien failli me tuer, tu te rappelles ?

— J'étais sceptique aussi, mais plusieurs textes dans le Temple font référence à la même prophétie, répondit Maco en feuilletant les pages.

— "Au quatre-centième jour des cinq cent quarante-six lunes, il sera libéré. Les deux lunes s'uniront, les impurs périront..." récita Ezi, la voix emplie de gravité.

— Oui, la question est de savoir quand tombe ce jour, ajouta Amatos, qui avait rejoint le groupe après s'être assuré que son frère était bien installé sur un matelas de fortune faits de couvertures miteuses trouvées dans la cabane.

— Rien n'indique une date précise, admit Maco, découragé.

— C'est pour ça qu'il faut trouver la fille. Si on les empêche de se trouver, ils ne pourront pas déclencher le chaos, conclut Neria.

Amatos acquiesça.

— Vous seuls pouvez partir à sa recherche. Moi, je ne peux pas laisser mon frère derrière. J'ai cru en Ametiste et regarde où cela nous a menés...

Il baissa la tête, visiblement rongé par la culpabilité. Neria remarqua à quel point Amatos semblait avoir mûri.

— Neria, tu es trop blessé pour voyager, protesta Ezi.

— Pas du tout ! contredit Neria. Je suis en pleine forme. Comment on y va ?

Maco secoua la tête.

— Nous n'avons pas encore trouvé de solution pour ça...

— J'ai une idée, dit Ezi avec un sourire espiègle.

Les Lunes d'Atéor - Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant