Orgon

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Orgon se sentait un peu brouillardeux après avoir bu les trois bières offertes par des contrebandiers qui l'avait embauché pour entreposer des barils de vins d'Hathor, la terre fertile du Nord-Est. Il sortit dans la rue et regagna la forêt où il installa son campement quotidien. Il indiqua un endroit à Kalimos pour se coucher.

— Reste là, j'en ai pas pour l'autant. Quelques heures au plus. Je dois travailler.

Kalimos émit un petit crissement de tristesse et baissa la tête. Orgon lui caressa doucement les plumes sombres dans son cou avant de rejoindre le port. Il aperçut rapidement le grand navire sombre et fatigué dont les contrebandiers avait parlé. Un homme louche, à en juger par la cicatrice infâme qui bardait son visage de bas en haut, et ses dents déchaussées, lui indiqua les futs qu'il devait transposer du quai au bateau. Deux heures étaient passées et il n'en était qu'à la moitié du chargement. Il s'accorda une pause et s'assit sur l'un des tonneaux. Son regards se perdit contre les vaguelettes qui tapaient sur la carcasse du vieux navire. A Plumerosae, jamais il n'aurait été confronté à un tel labeur. Lui, fils de Bartomir le Redoutable et d'Olympe, était destiné à régner. Il n'avait pas à s'occuper des transports de marchandises entre les îles du royaume. Il naviguait parfois entre les îles d'Aeris qu'il connaissait comme s'il avait lui-même positionné chaque morceau de terre sur l'immense océan. Depuis le plus jeune âge, il parcourait les nuages avec Kilamos, retenant chaque morceau de verts au dessous de ses pieds, comme s'il s'agissait de touche de peinture sur une toile infinie. Il savait exactement où chaque île se trouvait, le nombre d'habitants qui s'y trouvaient et le commerce dont elles vivaient. Parfois, il s'arrêtait sur l'une d'elles, et en parcourait les allées pour discuter avec les gens du peuple. Jusqu'à ce qu'on le reconnaisse, et qu'on le traite alors comme le prince qu'il était. Il ne détestait pas être prince, il en appréciait le confort matériel de sa position et certains aspects inhérents comme la chance d'avoir pu se connecter à un Soufflet très jeune. Il aimait les banquets aussi, car il y avait toujours des danseuses d'Hathor Sahkmet qui le fascinaient et les baies sucrées de Zumos qu'il adorait. Mais lorsque les habitants l'identifiaient, il sentait la peur qu'il leur inspirait. Et il haïssait cela. Lui, aurait voulu être un Soufflier voyageant dans le monde entier, à la recherche de saveurs, de couleurs et de senteurs exotiques. Il voulait que sa toile géante s'agrandisse au-delà des limites des montagnes, pour en ajouter les touches dorés des dunes d'Hathor ou de Zumos... Une Goulette, un petit oiseau criant noir corbeau, vint le sortir de ses pensées. Il rattacha ses cheveux négligemment et se remit au travail. Il pit basculer l'un des quinze tonneaux restants et le fit lentement rouler. Mais soudain, quatre individus surgirent de tous les côtés. L'un deux attrapa Orgon et le fit tomber sur les pavés mouillés. D'autres pieds vinrent lui casser le nez, une de ses dents tomba. Ses côtes lui faisaient un mal de chien. Le gout du sang inondait sa gorge. Il s'interdit de gémir lorsqu'il se releva pour aller vomir après que les hommes mystérieux aient disparu aussi rapidement qu'ils étaient apparus. Dans la douleur, il finit d'entreposer les fûts restants, unique condition pour être payé. Quand il eut fini, il se dirigea vers le centre de la ville, déterminé à récupérer son dû.

Les individus dans le bar pestèrent en le voyant ainsi amoché et pitoyable, l'accusant d'avoir mis en danger la cargaison. Il s'engagèrent dans ce prétexte pour refuser de le rétribuer. Furieux, Orgon essaya de contenir la force invisible qui s'élevait en lui.

— Donnez-moi l'argent que vous me devez, ordonna-t-il.

Les contrebandiers se moquèrent, puis l'ignorèrent. Il souffrit des côtes et de l'épaule en levant son bras avant d'abattre son point sur la table violemment, faisant apparaâitre une fissure dans la table en chêne, ce qui fit se renverser l'une des bières des cinq flibustiers. Ils se levèrent, menaçants, galvanisés par la colère. Orgon n'aimait pas sans servir mais il n'avait pas le choix. Il devait obtenir cet argent, il devait nourrir Kilamos. Il ferma les yeux, se concentra, oublia sa douleur et alla chercher la Flamme incandescente tapie en lui. Il ouvrit les yeux vers les contrebandiers qui se tordirent de douleur apparente, criant dans un silence absolu. Les spectateurs abasourdis, ne bronchèrent pas un mot, découvrant sous leurs yeux l'héritier des Dragonniers sous ce visage innocent. Les pirates lui jetèrent toutes les pièces en or qu'ils lui devaient et sans doute un peu plus. Rapidement, Orgon les récupéra et déguerpit rapidement à l'extérieur, bousculant quelques ivrognes qui étaient assis devant l'établissement. Il courut quelques mètres et, le souffle court, se cacha entre deux maisons, dans l'obscurité. C'était la troisième fois qu'il utilisait la Flamme. La première fois, par accident. Il ne savait pas qu'il avait ça en lui. Ses professeurs lui avait expliqué que c'était l'héritage des dieux dragonniers, qui avait créer sa branche familiale. La troisième, c'était ce soir. La deuxième, c'était ce jour là, durant cette course de Soufflets. Il n'avait pas su maitriser son pouvoir et son ami était mort. Jamais il ne se le pardonnerait. Il courut vers la forêt, en sang, les os brisés, les larmes coulant à grands flots, embrouillant sa course dans un brouillard de peine et de douleur.

— Orgon... ce n'était pas ta faute.

Il chassa la voix cotonneuse de sa tête, mais elle revint plus puissante encore.

Orgon, arrête-toi.

— Tu sais, ce que j'ai fait, j'ai utilisé mon pouvoir contre lui...

Orgon avait crié en courant, il ne s'en était même pas rendu compte.

— Arrête-toi ! Ecoute ma voix...

Orgon continuait à courir sans réfléchir. Son pied trébucha soudain sur une liane, en plein milieu de la rue pavée déserte. Il roula sur quelques mètres, et finit la tête dans une flaque d'eau vaseuse. Ephémère avait combiné son pouvoir et celui d'Orgon pour projeter un végétal en plein milieu de la rue. Il lui semblait alors que c'était le seul moyen de protéger Orgon de sa souffrance, même si elle ne comprenait pas comment d'une envie, elle matérialisa un organisme vivant au-delà de son propre monde.

— Il faut que tu te soignes Orgon... Il faut que tu vois un médecin.

Orgon ne savait plus quoi faire. Il était désemparé.

Recentre-toi.

La voix d'Ephémère avait été ferme et rassurante. Il se sentit apaiser comme si une vague de mer basse l'avait envahie. Il se releva. Ses plaies commençaient déjà se refermer, comme lui permettait ses gènes, mais Ephémère avait apaiser ses blessures d'esprit. Il rejoint Kilamos qui l'accueillit avec des petits cris de joie. Orgon attrapa dans a besace une petite bouteille en verre foncé, contenant du remède de santé à la baie de Zumos qu'il transportait toujours en cas de chute de Soufflet. Il se rinça le visage avec de l'eau et se rendit compte que sa journée de travail et tout ce qui s'en était suivi avait continuer de creuser les trous dans ses vêtements en coton. Les parties en cuir stellaire tissées étaient couvertes de terre et de poussière mouillée. Il les déposa sur le dos de Kilamos et nettoya consciencieusement à l'aide d'une feuille d'Arboustier, chaque lien, chaque carré de tissu avec application, comme il le faisait toujours. Il se dirigea ensuite vers la petite étendue d'eau qui se trouvait à quelques kilomètres de son campement sommaire. Il enleva sa chemise sale et trouée par les événements. Elle qui était d'un blanc immaculé originellement, était maintenant telle une toile de jute usée. Tant mieux, il passait encore plus pour un simple humain. Il se débarrassa de ses autres habits et prit un moment pour regarder les étoiles qui se reflétaient sur l'étendue d'eau, entourant de leur éclat son propre reflet sombre. Ce n'étaient pas les mêmes étoiles que celles qu'ils voyaient de sa tour là-bas chez lui, mais cette image céleste l'apaisa. Son reflet s'éclaircit. La Flamme s'était de nouveau cachée.

— Ephémère ?

Elle ne répondit pas. Mais il la sentait. Il la ressentait.

— Merci, dit-il avant de plonger dans l'eau calme.

Les Lunes d'Atéor - Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant