Ephémère

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I

l devait être environ trois heures du matin. Ephémère ne dormait pas. Elle ne pouvait s'empêcher de regarder le reflet dans l'eau. Un garçon aux cheveux d'argent se tenait devant elle. Le corps bardés de cicatrices anciennes sur les flancs, les cuisses et les bras. Elle remarqua les tatouages qui ornaient sa peau légèrement bronzée, si différents des siens : plus froids, plus stricts, brutaux. Les dizaines de barres sur ses bras étaient dessinées pour inspirer la peur. Pourtant, ce n'était pas les tatouages redoutables qui lui coupaient le souffle. C'était la première fois qu'elle voyait un homme nu. La connexion distordait son image, mais cela ne suffisait pas à effacer son trouble. Elle se demandait si ce qui se passait entre eux n'était pas interdit.

Ephémère ?

Ses lèvres avaient bougé, et ses yeux dorés, perçants, semblaient la sonder. Était-il réel, ou n'était-ce qu'une création de son esprit ?

Merci, dit-il d'un ton chargé de reconnaissance.

Elle plongea dans l'eau douce qui lui boucha les oreilles et fit cesser la connexion. D'un geste discret, elle sortit du lit, se glissant hors de sa chambre sans un bruit. Pieds nus, elle descendit les escaliers de marbre frais du palais, se faufilant à travers le silence nocturne. Ses pas légers l'emmenèrent vers les jardins luxuriants, où les cris des oiseaux exotiques et des singes nocturnes résonnaient. Elle se dirigea vers un petit kiosque recouvert de lierres et s'assit sur l'un des bancs de pierre, qui semblait se fondre avec le décor naturel.

Ses mains se posèrent sur le sol verdoyant, établissant une connexion familière avec la végétation. Le contact direct avec la nature la réconfortait, la ramenait à une stabilité rassurante. Elle pouvait sentir chaque être vivant autour d'elle, des minuscules fourmis aux grands arbres centenaires. Son cœur battait vibrait à l'unisson avec le flux de vie intense qui circulait dans les plantes. Ramenant ses genoux contre elle, elle s'enroula dans sa longue chemise de nuit, tentant d'apaiser ses pensées troublées.

Elle pensa à son mariage imminent avec Mr Louis, à sa mère, à son père, à ses sœurs, à a communauté qu'elle ne voulait pas décevoir. Les sentiments se bousculaient en elle, provoquant une vague d'anxiété. Un long serpent aux écailles rouge, jaune et bleu vint se glisser sur ses épaules et s'enroula amicalement autour d'elle. Elle avait une affection particulière pour les serpents. Parfois, elle aurait voulu en être un. Il semblait qu'elle pouvait les sentir, un peu moins que les plantes, mais elle sentait de la sérénité en leurs présences. Dans une danse maîtrisée et silencieuse le long de ses bras, le mouvement du serpent, fluide, ondulant et hypnotique la fascinait. Sa peau, faite d'écailles lisses et brillantes, captait la lumière des deux lunes, semblant presque scintiller à chaque ondulation. Les muscles de l'animal glissaient avec une précision étonnante, donnant une impression de force dissimulée sous une élégante souplesse.

Tu as eu peur de Kilamos et pourtant tu danses avec les serpents... plaisanta la voix dans sa tête.

Ephémère ne réagit pas. Le mouvement lent du serpent la calmait, ses écailles froides et lisses glissant contre sa nuque. Elle laissa l'animal redescendre le long de ses jambes pour se faufiler comme s'il flottait au-dessus du sol, son corps mince et effilé se courbant en réponse aux aspérités du terrain faites de lianes et d'hautes herbes colorées du jardin.

— Tu vis dans l'Atéor, n'est-ce pas ? demanda Orgon qui marchait maintenant dans la forêt.

— Oui, à Jadis.

— L'Atéor, répéta-t-il, comme s'il invoquait des souvenirs anciens.

Une image d'homme tenant une règle apparut vaguement dans son esprit, et elle reconnut la silhouette d'un Précepteur.

— Tu es... une fille des lunes ?

— Oui, confirma-t-elle.

Les jardins luxuriants disparurent à ses yeux, remplacés par une étendue d'eau calme sur laquelle se reflétaient les étoiles scintillantes. Le spectacle était d'une beauté époustouflante, un paysage qu'elle n'avait jamais vu, avec de grands arbres qui semblaient atteindre les cieux.

— Et toi, qui es-tu ? Tu as les cheveux d'argent et les yeux dorés... J'ai étudié cela en mythologie. Serais-tu un descendant des Dragonniers ?

Il laissa échapper un soupir avant de répondre, presque à contrecœur.

— Puisqu'on en est aux présentations officielles... Oui, je suis donc Orgon, de Plumerosae, même si ce nom, je souhaiterais l'oublier à jamais, ajouta-t-il fermement.

Ephémère n'en revenait pas. C'était un fils de Dragonnier. Qui vivait en plus dans le royaume originelle des Dragons... Elle aurait tellement voulu connaître le monde qui l'entourait, être libre comme les Dragonniers... Mais son destin était tout autre. Elle, qui par sa magie ancestrale, devait s'abandonner entièrement au service de la communauté. Ses visions étaient fortement convoitées. Toutes les familles voulaient une descendance de fille de Lune dans leur lignée. Elle avait reçu tellement de prétendants depuis l'âge de ses treize ans... Pressée par ses parents, elle avait fini par accepter la demande de Mr Louis, un jeune bourgeois, fils du richissime Costumier, dont la seule qualité, à ses yeux, était d'avoir moins de trente ans. Elle qui venait d'avoir vingt ans, était déjà bien trop vieille maintenant pour se marier. Mais la fortune de Mr Louis pourrait payer la rénovation de certains bâtiments publics qu'elles n'auraient jamais le droit de visiter. Tout cela l'effrayait. Que lui arrivera t-elle quand Mr Louis comprendra qu'elle ne l'aimait pas et qu'elle ne pourrait jamais l'aimer?

— C'est étrange... Je sens que tu as peur... Tu as peur de moi ? demanda Orgon, d'une voix empreinte de tristesse.

Elle sortit brusquement de ses pensées.

— Non, pourquoi aurais-je peur de toi ?

Parce que je viens d'une famille violente et belliqueuse qui terrorise les peuples... Et parce que tu sais ce que j'ai f...

— Je n'ai pas peur de toi, le coupa-t-elle, sûre d'elle.

Il resta silencieux un instant. Peut-être était-ce lui qui avait peur d'elle ? Non, La Flamme la craignait.

— Comment as-tu fait apparaître une liane dans mon monde ? demanda-t-il enfin.

— Je ne sais pas. J'ai simplement fait.

Ephémère marchait pieds nus sur la mousse douce de la forêt. Au loin, elle distingua une silhouette imposante.

— C'est un... un dragon ? demanda-t-elle, fascinée.

— Kilamos ? Un dragon ? Même un loup serait plus effrayant que mon gros poulet poilu...

Au son de son nom, Kilamos secoua les plumes de son cou, révélant une tête d'oiseau gigantesque qui fit reculer Ephémère de surprise. Elle tomba dans une fleur de Cratéli qui la recouvrit de poussière argentée. Elle n'avait jamais vu un aussi grand animal. En même temps, elle n'était jamais sortie de ses jardins. Orgon posa calmement sa main sur Kilamos, et soudain, elle ressentit la connexion. C'était comme si l'animal reconnaissait Ephémère, comme si elle aussi était son maître. Elle sentit la chaleur de sa peau dans sa paume, la douceur de ses poils sous ses doigts.

— C'est incroyable... souffla-t-elle à voix haute en glissant dans l'eau tièdes des Sources pour se débarrasser des particules de Cratéli.

— Oui, je ressens aussi cette connexion maintenant Ephémère... et j'ai envie de découvrir à quel point nous sommes liés.

Il s'assit en tailleurcontre Kilamos et ferma les yeux, se concentrant pour rejoindre Ephémère dansles jardins du palais.

Les Lunes d'Atéor - Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant