Douze jours s'étaient écoulés depuis leur départ de Portline, retardés par des vents capricieux, lorsque la Cité Royale d'Aeris se dévoila enfin. C'était l'étape de ravitaillement obligatoire avant de s'engager sur le fleuve en direction de Lumrose.
Perchée entre les montagnes, la cité émergeait majestueusement, étendant ses contours élégants le long des flancs rocheux. Ses toits innombrables perçaient les nuages, tels des flèches d'argent s'élançant vers le ciel, tandis que les eaux scintillantes du fleuve reflétaient les silhouettes vertigineuses. Ezi et Maco se sentaient petits par rapport à l'immensité de la Cité-Arche. Nikolai annonça à l'équipage que leur escale durerait quinze jours, au grand regret de Neria. Le bateau amarra, et les enfants durent se résoudre à quitter le navire sans la pierre et sans avoir atteint Lumrose. Neria ne pensait plus à sa trahison. Seul comptait retrouver un nouveau bateau pour Lumrose.
Ils traversèrent les rues d'Aeris jusqu'à un bureau de poste, espérant y trouver une liste des prochains départs. Un navire vers Lumrose partirait dans deux jours, mais sans un sou, ils n'avaient d'autre choix que de passer ces nuits à la belle étoile. C'est ainsi qu'ils gagnèrent les abords de la ville, à la lisière de la grande forêt noire. Toute la matinée, ils fouillèrent le sous-bois humide, ramassant des branches et des feuillages pour construire un abri de fortune. La pluie habituelle au royaume d'Aeris, les accompagna tout du long. Finalement abrités, bien que sommairement, ils partagèrent leurs maigres provisions : trois tranches de pain rassis récupérés dans un enclos de Poulardes, et une pomme verte dérobée sur un étal commercial.
Enfin, la pluie cessa, ce qui poussa Ezi à vouloir explorer la ville. Maco décida sans hésiter de l'accompagner. Neria, effrayé qu'on puisse reconnaitre leurs origines atéoriennes légendaires, éteignit le feu et suivit les jumeaux, sur le qui-vive. Très vite, ils arrivèrent dans une rue bondée. Certains marchands égouttaient encore leurs affaires, d'autres accaparaient les passants en leur montrant de bons fruits de contrées ensoleillées, ou des étoffes plus soyeuses les unes que les autres. Ezi, émerveillée, découvrait pour la première fois les merveilles d'un autre monde. Plongés dans l'autarcie la plus secrète, les enfants de Masasumi ne connaissaient pas les parfums d'Hathor Sahkmet, les saveurs de Zumos, les pierres stellaires d'Aeris ou le métal forgé de Lumrose.
La rue commerçante semblait interminable pour Neria qui avait faim et avait les pieds douloureux. Sa lassitude trouva un bref soulagement lorsqu'il constata que les étals et les badauds se faisaient plus rares. Au détour d'un croisement, il suggéra, inquiet de voir la lumière du jour décliner, de retourner au campement. Maco et Ezi acquiescèrent, et tandis que la pluie recommençait à tomber, ils empruntèrent une ruelle couverte. Il faisait maintenant nuit, et les lampadaires s'allumèrent. Neria avait un mauvais pressentiment, comme un écho au souvenir de l'agression de ses parents lorsqu'il n'était encore qu'un petit enfant. Il pressa Maco et Ezi. Plus vite ils retrouveraient la mer, plus vite ils pourraient se diriger vers la forêt. Mais plus ils avançaient, plus ils s'éloignaient du rivage sans le savoir. Tous les croisements se ressemblaient. Soudain, dans le calme nocturne de la ville, des chants graves parvinrent à leurs oreilles. Intrigués, ils suivirent ces voix qui semblaient provenir d'un imposant bâtiment de pierre. Maco tendit l'oreille.
— Les voix viennent de la haut, indiqua t-il discrètement, grâce à son acuité hors-pair.
Le langage était étrange. Ni les jumeaux, ni Neria ne reconnaissaient la langue. Les enfants écoutèrent un moment, fascinés, avant d'être sortis de leur écoute attentive par des cris perçants en provenance d'une rue adjacente. Courant vers la source des hurlements, ils tombèrent sur une scène de violence : trois hommes tatoués, marqués de trente barres chacun, battaient un malheureux à terre. Sans hésiter une seule seconde, Maco et Ezi allèrent défendre la personne agressée. Maco sauta sur le dos d'un des agresseurs, tandis qu'Ezi immobilisait un autre d'une clé de bras, laissant l'homme à terre se relever pour asséner des coups au troisième agresseur. Neria, pétrifié, n'osa bouger, mais son regard se posa sur une silhouette tremblante au fond de l'impasse. C'était Amatos, l'œil tuméfié. Le jeune homme qui se battait était sans doute son frère, le jeune capitaine.
Maco mit à terre l'un des hommes à terre, forçant les deux autres à battre en retraite. Rapidement, ne pouvant lutter contre deux atéoriens en furie, les trois badauds s'enfuirent, délaissant la bataille. Neria attendit qu'ils partent pour venir rejoindre le groupe à bout de souffle. Il aida Amatos à se relever.
— Je n'avais pas besoin d'aide ! hurla le capitaine furieux.
— Bien sûr que si Nikolai ! répondit Amatos. Sans aide, ils nous auraient tués !
Nikolai ramassa son tricorne, et le dépoussiéra vigoureusement.
— Qui étaient ces hommes ? demanda Neria aux deux frères alors que Nikolai crachait du sang sur le sol.
Amatos allait répondre lorsque Nikolai l'en empêcha.
— Cela ne vous regarde absolument pas !
— On t'aide et c'est comme ça que tu nous remercies ! On ne peut pas dire que la politesse et la gentillesse sont tes qualités premières ! s'indigna Ezi excédée par l'arrogance de Nikolai.
Nikolai se retourna contre Ezi et l'attrapa par la chemise, faisant tomber son chapeau. Les tresses d'Ezi tombèrent le long de son visage. Nikolai la relâcha.
— Mais t'es qu'une fille ! s'écria Amatos.
— Oui, et ?
— Les filles... ça ne se bat pas, trancha Nikolai avec mépris.
Ezi vint se placer devant Nikolai qui tentait de partir de la ruelle.
— Monsieur le Capitaine, je suis peut-être une fille, mais de là où je viens, il n'y a pas de différences entre mon frère et moi. On est tous égaux, peu importe si on a des zots ou une stoz.
— Chez nous, si. Une femme ne se bat pas, point ! Tu n'as pas honte de t'habiller en homme...enfin, que dire... en haillons !
Nikolai remarqua la lueur qui émanait des bras d'Ezi, dont la veste était déchirée de l'épaule au poignet. Il se retourna vers Maco et Neria soutenant Amatos qui s'était foulé la cheville lors de la bataille.
— Qui êtes-vous au juste ? accusa Nikolai, suspicieux.
— Tu n'as pas à le savoir, répondit Neria.
Nikolai sortit la pierre opalescente de sa poche.
— J'ai été la faire expertiser par quatre prêteurs sur gage. Personne n'a jamais vu une telle pierre. Où l'avez-vous volée ? accusa Nikolai.
Neria n'osa répondre. Si quelqu'un découvrait le secret de la pierre, qui sait ce qu'il pourrait en faire...
— On te raconte tout si tu nous offres de quoi manger et dormir, proposa Ezi sous les regards désapprobateurs de Maco et de Neria.
Nikolai rangea la pierre dans sa poche, hésitant.
— Marché conclu. Par contre, si je vous prends à voler quoi que ce soit chez moi, je vous dénonce à la Garde Royale, menaça Nikolai.
— Ne l'écoutez pas, chuchota Amatos à Maco et Neria, il a l'air méchant comme ça, mais ce n'est qu'une façade.
Tandis qu'ils sedirigeaient ensemble vers le centre-ville, Neria, bien que méfiant, se sentitsoulagé. Au fond, il savait qu'une nuit à l'abri valait mieux que de retournersous leur fragile refuge de fortune, certainement effondré sous le poids de lapluie incessante.
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Les Lunes d'Atéor - Livre I
ParanormaleDans un monde magique, des destins s'entrecroisent autour de mystères anciens et de pouvoirs uniques. Éphémère, une jeune fille dotée d'une capacité surnaturelle, entre en communication avec Orgon, un garçon hanté par la culpabilité d'un accident tr...