Ephémère

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Lorsqu'Orgon emprunta les escaliers qui menaient au palais, Ephémère rompit leur connexion. Des tas de cadeaux gisaient à ses pieds. Elle voulut bouger, le poids des étoffes et des bijoux l'en empêchèrent. Son cœur s'accéléra, poussé par une excitation certaine et une peur abyssale. Elle avait vu le reste de la vision. Elle savait ce qui se passerait. Et tout se passait comme elle le sentait.

Six heures s'étaient déjà écoulées depuis le début de la fête de la Pureté et pourtant le temps semblait s'accélérer à mesure qu'il avançait dans la file des bienfaiteurs. Ephémère n'entendait ni les noms des rois ni ceux des seigneurs venus des royaumes et des arches lointaines. Elle ne voyait que ses yeux dorés, qui perçaient comme deux lumières qui la mettait totalement à découvert.

— Voici un coffre rempli de rubis, offert par Mr Zanzibar, ambassadeur des terres des Marakhs, annonça le Présenteur.

L'ambassadeur fit une révérence avant de déposer son présent aux pieds d'Ephémère.

— Et voici... Monsieur...

— Orgon.

— Orgon comment ? Quelle est votre titre, Sir ?

— Juste Orgon, répondit-il, sans cesser de fixer Ephémère du regard.

Leur lien était plus fort que jamais, vibrant d'intensité. Il la ressentait intensément. Elle le sentait puissamment.

— Vous n'avez pas de cadeau ? s'étonna le Présenteur.

— Si.

— Et quel est-il ?

— Ma main, répondit-il calmement en s'agenouillant devant Ephémère.

Un murmure stupéfait parcourut l'assemblée, suivi d'un éclat de rire général, encouragé par l'attitude moqueuse du Présenteur. Il se sentit vulnérable un instant, puis son regard glissa vers les femmes qui entouraient Ephémère. Il reconnut les tenues traditionnelles des filles du peuple des Lunes. Ces cinq silhouettes debout confirmaient qu'il s'agissait bien des sœurs d'Ephémère.

— Je viens demander la main de votre fille.

— Est-ce une plaisanterie, Monsieur ? Gardes, faites sortir cet intrus ! ordonna le Présenteur.

Les gardes surgirent et saisirent Orgon brutalement. Ephémère, malgré elle, ressentit sa douleur, comme si c'était ses propres côtes qui étaient écrasées.

— Attendez ! Lâchez-moi !

Les gardes arrachèrent ses vêtements, révélant son corps musclé, tatoué de bandes marquant chacune des vies qu'il avait prises. Un cri d'horreur traversa l'assemblée en découvrant l'énorme empreinte sur son dos : le symbole des Dragonniers. Mais les cris s'évanouirent subitement lorsque quelques pièces d'or roulèrent au sol. L'attention générale se détourna vers l'éclat de l'or, y compris celle des gardes, qui relâchèrent leur emprise sur Orgon.

— Je suis Orgon, fils de Parthéon, héritier du trône des Dragonniers. Et en échange de la main de votre fille, je vous promets un tas d'or comme celui-ci. déclara-t-il, en faisant tourner une pièce d'or entre ses doigts, hypnotisant l'assemblée.

— Mais Monsieur... Prince Orgon, ma fille est déjà promise à un autre homme. Nous ne pouvons pas... bafouilla la mère d'Ephémère, tiraillée entre le désir de richesse incroyable qu'offrait Orgon pour épouser sa troisième fille et l'interdiction de s'allier avec les Dragonniers.

Depuis plusieurs générations, les Dragonniers avaient massacré et soumis des peuples et des clans entiers. Mais leur cruauté égalait au moins leur richesse amassée au fil des conquêtes. Orgon s'avança alors vers la mère d'Ephémère. Leurs regards s'accrochèrent, un défi silencieux circulant entre eux.

— — Madame, avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d'accord. Le mariage n'a pas encore eu lieu, et le Costumier ne pourra jamais vous offrir autant que moi.

— Je... euh... tenta-t-elle de répondre.

— Prince Orgon, résonna soudain une voix grave.

L'assemblée se figea. Le père d'Ephémère venait de parler. Sa voix, puissante et imposante, résonna dans toute la salle, forçant le silence. Même Orgon se sentit rapetisser sous son regard. L'homme aux cheveux et à la barbe blanche s'avança avec une autorité inébranlable.

— Chef du peuple des Lunes... énonça Orgon respectueusement en inclinant la tête.

Il comprit soudain pourquoi personne n'avait osé défier l'Atéor. Il lui semblait que leur chef ultime était un Dieu. À genoux, la tête baissée et la main sur le front, Orgon fit preuve d'une déférence qui surprit Ephémère. Comment connaissait-il si bien les rituels de son peuple ? se demanda-t-elle.

Cronos, le père d'Ephémère esquissa, de façon presque imperceptible sauf pour Ephémère qui avait porté toute son attention sur lui, un sourire de fierté face au à ce prince lointain qui se pliait devant lui.

— Je suis disposé à discuter d'une entente, si vous êtes bien celui que vous prétendez être. Suivez-moi. Que la cérémonie continue ! déclara Chronos avec gravité.

Orgon saluarespectueusement Ephémère et l'assemblée avant de suivre Chronos vers une salleadjacente. Ce furent des minutes interminables pour Ephémère, chaque instantune épreuve de patience et de peur. Quand enfin le dernier ambassadeur déposases coquillages et que la procession reprit, elle sentit une paniquegrandissante. On lui ôta ses apparats, et la jeune femme réalisa qu'Orgon avaitcoupé tout lien avec elle. Elle ignorait tout de la discussion qui se déroulaitentre son père et le Dragonnier qui avait osé demander sa main.

Les Lunes d'Atéor - Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant