Neria prit une profonde inspiration, l'air chargé de l'odeur salée de la mer se mêlant à l'effluve de poisson frais et de bois humide qui régnait sur le port. Le regard tourné vers l'horizon incertain, il déclara avec une assurance calculée :
— Il faudra offrir nos services pour voyager. Peut-être pourrions-nous laver le pont, ou même faire la cuisine. J'ai déjà travaillé sur le bateau de mon père, il disait que j'étais très doué... Enfin, je pense que vous l'êtes aussi, évidemment. Mais comme vous n'avez jamais mis les pieds sur un navire, je propose de me désigner responsable de notre groupe. Toi, Maco, veille à ne pas montrer ton pouvoir, et toi, Ezi... Ezi ?
Le discours de Neria se brisa dans l'air comme une vague contre la coque d'un navire, son regard interrogateur se posant sur Maco, qui, tout aussi perdu, haussa les épaules. Le silence ne dura guère, car des éclats de voix courroucés s'élevèrent soudain dans la rue. Sur les toits, une silhouette frêle gambadait avec une grâce féline, une chope de bière à la main, qu'elle renversait sans vergogne sur les passants médusés. Le rire cristallin d'Ezi déchira l'air, espiègle et insolent. Elle se délectait du chaos qu'elle semait, sautant d'un toit à l'autre, Elle finit par sauter félinement sur le sol et rejoignit Neria et Maco, ébahis par son audace insolente. Espiègle, elle leur tendit la chope, que Neria et Maco repoussèrent d'un geste dédaigneux. Sans se démonter, Ezi vida la pinte d'un trait avant de tituber et vomir bruyamment à quelques mètres de là. Maco se précipita à ses côtés, tandis que Neria, les joues brûlantes de honte, sentait les regards des badauds peser sur lui.
— C'est complètement stupide, ce que tu as fait ! Tu es inconsciente ou quoi ? s'écria-t-il, le ton chargé de colère, tandis qu'Ezi, le visage blême, tentait de reprendre contenance.
— Hé, Neria, ne parle pas comme ça à ma sœur ! s'agaça Maco.
— Elle a fait n'importe quoi ! On va se faire repérer à cause d'elle !
— Et alors ? Ce n'est pas une raison pour lui manquer de respect !
Ezi s'interposa entre eux, levant une main apaisante.
— Du calme, guys! On a un bateau à trouver, non ?
Mais Neria n'en démordait pas.
— Tu ne vas pas t'excuser pour ton comportement débile ? accusa Neria, outré.
Ezi se retourna vers lui.
— Je n'ai jamais obéi à personne et ce n'est pas un petit touko qui va m'interdire de faire ce que je veux. Si tu me reparles comme ça encore une fois, je te fais bouffer par l'un de ces oiseaux !
Elle pointa le doigt vers le ciel. Neria sentit une sueur froide couler le long de son dos à l'idée qu'elle pouvait contrôler les Oiseaux, ces créatures dont il avait peur par-dessus tout. Il ravala ses paroles et le groupe reprit sa marche vers le quai, où un petit navire était amarré.
— — Le capitaine devrait être un vieil homme, avec un tricorne rouge et deux bandes bleues autour, expliqua Neria, très sérieux, à Maco, tout en scrutant la foule.
— Excuso moi Miseurgneur, je chercheuh... le captain de ce grond bateau. Pourriez-vous m'indiquer où est-il ?
Neria et Maco se retournèrent, sidérés. Ezi, dans une tentative maladroite, s'efforçait d'imiter l'accent chantant des gens d'Aeris. C'était un désastre, pensa Neria en voyant quand même l'homme pointer du doigt un jeune capitaine blond clair au grand tricorne bicolore, qui aboyait des ordres à ses matelots.
— Un vieux monsieur, hein... ricana Maco.
Bien que vexé, Neria s'avança vers le capitaine, se raclant la gorge pour adopter un ton plus grave, plus solennel, presque théâtral.
— Monsieur le capitaine, mes amis et moi souhaitons nous rendre à Aeris et solliciter l'embarquement sur votre navire.
Le capitaine, à peine distrait, leur lança un regard de dédain.
— Je n'ai pas besoin de main-d'œuvre. Et encore moins de gosses dans mes pattes, répliqua-t-il sèchement.
— Nous saurons nous rendre utiles, je vous assure. Nous sommes forts et capables d'accomplir n'importe quelle tâche, insista Neria, déterminé.
Mais le capitaine, excédé, le repoussa. Neria ne comptait pas abandonner aussi facilement.
— Je vous en prie, ma famille est à Lumrose...
Le capitaine n'écoutait plus. Il le suivit, gnorant les coups qu'il recevait en chemin. Soudain, le capitaine s'arrêta et ordonna :
— Amatos, viens là ! Débarrasse-moi de cette sangsue !
Un garçon rondouillard émergea de l'ombre du capitaine. C'était le même garçon que Neria avait menacé plus tôt. Pointant un doigt accusateur vers Neria, il cria :
— C'est l'un des voleurs de tout à l'heure ! Lui, il a voulu me tuer !
Neria tenta de se retourner pour fuir, mais le capitaine le saisit au col avec une force brutale.
— Tu as osé menacer mon petit frère ? gronda-t-il.
Avant que Neria ne puisse répondre, le poing du capitaine s'abattit sur son visage avec une violence inouïe. Le goût du sang envahit sa bouche tandis qu'il s'effondrait sur le pavés froids et sales. Maco, furieux, se jeta sur le capitaine qui était maintenant protégé par une épaisse planche de bois. Maco, incapable de freiner son élan, s'écrasa contre la planche qui éclata en mille morceaux. L'un des éclats blessa légèrement la joue du jeune capitaine.
— Amatos, va chercher la milice ! Ces gosses vont payer pour leurs affronts ! hurla le capitaine.
Neria n'avait plus le choix. Il voulait plus que tout rentrer chez lui. Il sortit la pierre de sa poche et la tendit au capitaine.
— Seriez-vous prêt à nous emmener à Lumrose en échange de ça ? proposa-t-il, l'esprit enfiévré par cette idée désespérée.
Intrigué, le capitaine s'approcha et prit la pierre, observant avec admiration sa surface bleue lisse et parfaite.
— Très bien. Marché conclu.
Neria serra la main du capitaine, mais n'osa pas affronter le regard de ses amis. Le poids de la trahison alourdissait son cœur, mais il n'en montra rien.
— Tu nous condamnes à rester dans ton monde pour toujours ? Sans regrets, sans culpabilité ? demanda Maco.
Neria resta silencieux face aux mots emplis de tristesse de Maco qui l'atteignaient. Il savait qu'en donnant la pierre, il les condamnait à ne jamais revenir chez eux, mais le désir de retrouver sa famille avait tout effacé. Maco et Ezi montèrent dans le bateau en premier.
— Monsieur le voleur, ravi de faire affaire avec vous ! lança le capitaine avec une ironie mordante, agitant la pierre sous le nez de Neria. Ta pierre vaut bien plus que tout le revenu que j'aurais pu gagné en une vie.
Il éclata de rire et grimpa à son tour sur le navire. Neria, accablé par le poids de sa décision, se dirigeait vers le pont lorsque le garçon rondouillet le poussa brusquement.
— Mon frère est une véritable peau de vache, mais toi, tu ne vaux pas mieux, voleur !
Neria alla se réfugier dans un coin sombre de la nacelle, loin des regards accusateurs de ses amis et des moqueries d'Amatos et du capitaine. Seul, il ne pensa qu'à une chose : retrouver sa famille.
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Les Lunes d'Atéor - Livre I
ParanormalDans un monde magique, des destins s'entrecroisent autour de mystères anciens et de pouvoirs uniques. Éphémère, une jeune fille dotée d'une capacité surnaturelle, entre en communication avec Orgon, un garçon hanté par la culpabilité d'un accident tr...