L'union

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Les jours passèrent au palais d'Atéor, et malgré les doutes de la famille de la Lune concernant l'argent promis par Orgon, qui tardait à arriver, Ephémère et lui se croisaient régulièrement, que ce soit lors des dîners ou dans les couloirs. Orgon savait que son temps était compté. Il devait parler à Ephémère de son plan.

Seul dans sa chambre, il faisait les cent pas, perdu dans ses pensées, sans se rendre compte que deux petits yeux verts l'observaient attentivement par l'entrebâillement de la porte.

— Pardon, Prince Orgon... J'ai frappé trois fois, mais comme vous ne répondiez pas, je me suis permis d'entrer.

— Excusez-moi. En quoi puis-je vous être utile ?

Luméis resta muette un instant avant d'inviter Orgon à la suivre. Elle n'avait jamais rencontré de Dragonnier auparavant. Il était beaucoup plus grand qu'elle, qui de surcroit était la plus petite de ses sœurs. Le corps musclé du jeune prince, semblable à celui des mercenaires d'Atéor, était recouvert de bandes de tissu et de tatouages tribaux, lui conférant une aura à la fois protectrice et dangereuse. Elle comprenait maintenant pourquoi sa sœur avait été séduite.

Alors qu'ils quittaient la chambre, Orgon brisa le silence :

— Vous êtes, vous aussi, une fille de la Lune.

— Oui. L'aînée.

— Je suis l'aîné également. J'ai un frère cadet et deux jeunes sœurs.

— Vous êtes bien loin de votre munzal, my Lord.

— En effet...

Luméis sentit qu'il lui cachait quelque chose. Elle pénétra dans son esprit pour découvrir ses secrets. Elle y vit le meurtre, la fuite, les travaux illégaux, et elle la vit, cette étincelle au fond de lui. Terrifiée, elle s'arrêta net dans l'escalier, laissant Orgon la dépasser. Le tatouage qui ornait son dos, visible sous sa fine chemise de coton tissé, la pétrifia. Comment sa sœur pouvait-elle risquer la sécurité d'Atéor pour un Dragonnier ? Elle trébucha dans l'escalier et dans un mouvement adroit, Orgon la rattrapa avant qu'elle ne dévale les marches du palace.

— Tout va bien, Princesse ? demanda Orgon en lui permettant de revenir sur ses pieds.

Ses yeux dorés brillaient intensément. Luméis y retrouva ce qu'Ephémère avait vu : une âme pure, mais qui pouvait à tout instant être corrompue par une Flamme destructrice. Comment un jeune homme d'apparence si innocente pouvait-il représenter une telle menace ?

— Mer...merci, balbutia-t-elle, confuse.

Elle n'était pas déstabilisée facilement pourtant Au contraire, elle était la plus indépendante et téméraire de ses sœurs. Elle tenait cela de son père, avec qui elle était très complice. Malgré qu'elle soit la plus âgée, ayant atteint quelques mois auparavant, elle n'était pas mariée. Enfin, elle avait été. Presque. Son fiancé, un très illustre érudit de l'Atéor, avait succombé de façon fulgurante à une fièvre infernale deux jours avant la cérémonie de la Pureté. Attristée, ses parents lui avaient accordé deux ans de plus pour trouver nouveau mari.

Elle prit le bras d'Orgon qui insista et continua de descendre les marches avec lui, consciente du charme certain qu'il exerçait. Elle comprenait pourquoi sa sœur avait succombé. Si elle n'avait pas été consciente des dangers qu'une union entre un Dragonnier et une fille de la Lune représentait, elle aurait peut-être pu tomber amoureuse de lui aussi.

Elle perçut les sentiments d'Orgon pour Ephémère, puissants, absolus, dévorants. Il englobait tout, sans retenue. Et elle savait qu'Ephémère ressentait la même chose. Luméis l'avait lu en elle à maintes reprises. C'est ainsi qu'elle se convainquit que sa sœur devait disparaître en même temps qu'Orgon. En s'attachant au fils héritier de l'Aeris, Ephémère compromettait tout ce pourquoi le Peuple de la Lune s'était battu : la pureté, la beauté, la connaissance, la sagesse... et la paix.

— Ma sœur a demandé à s'entretenir seule avec vous. Les disciples de Cronos ont créé une bulle temporelle autour des jardins. Seuls vous et Ephémère pourrez vous entendre et vous voir.

— Je ne comprends pas.

Ils débouchèrent sur un jardin qui, bien que banal pour un natif d'Atéor, semblait incroyable pour tout autre. Les plantes grimpaient à l'envers, plongeaient dans la terre comme du métal en fusion, et les arroseurs vaporisaient l'eau horizontalement. Luméis lui indiqua un chemin.

— Il semblerait que la Flamme des héritiers Dragonniers soit plus séduisante que le destin de l'Atéor, dit-elle d'une voix énigmatique, laissant Orgon sans réponse.

Il s'engagea calmement sur l'allée de mousse qui ondulait entre des plantes majestueuses et des arbres millénaires. Le monde autour de lui devint silencieux, et seule la présence d'Ephémère semblait guider ses pas. Il arriva dans une vaste étendue de fleurs multicolores, au milieu de laquelle Ephémère se tenait, souriante. Une vague d'adoration l'envahit face à cette créature mystique à la beauté saisissante. Rien d'autre n'avait d'importance, si ce n'est la lumière émanant d'Ephémère. Il s'approcha d'elle, mais Ephémère s'élança telle une brise d'été à travers les fleurs odorantes.

— Après tous ces regards cachés dans les couloirs, ces sourires volés pendant les interminables dîners, et tous ces moments où je sentais ton regard sur moi... tu veux vraiment que je te coure après ?

Orgon, bien qu'embarrassé, ne pouvait s'empêcher de savourer cet instant. Ephémère, si pleine de vie, l'engourdissait de bonheur. Il ne pensait plus à l'accident, ni à la Flamme, seulement à elle, tournoyant autour de lui, ses cheveux flamboyants le capturant dans un tourbillon de beauté. Les Dragonniers possédaient des pouvoirs particuliers, et il se demanda si Ephémère en avait conscience. Il aurait pu l'attraper en quelques secondes, grâce à son agilité et son instinct de chasseur. Il en avait envie, son instinct de chasseur l'y poussait. Mais il décida de ne pas s'en servir.

Il la poursuivit en trébuchant à plusieurs reprises sur les lianes, manquant de se blesser, mais se redressant chaque fois. Finalement, il se jeta délicatement sur elle, la renversant dans les fleurs. Ephémère aurait pu fuir, mais elle se laissa glisser dans le sol, disparaissant parmi les innombrables pétales, laissant Orgon dubitatif. Soudain, un pied délicat se posa sur l'épaule d'Orgon. Ephémère se tenait debout derrière lui, l'invitant à rester allongé.

Elle s'allongea à ses côtés, et lorsqu'elle prit sa main, Orgon fut emporté par un souffle de vie qui lui coupa le souffle. Il respira à nouveau lorsqu'il sentit les lèvres d'Ephémère sur les siennes. Il avait déjà gouté d'autres bouches, il avait déjà effleuré plusieurs peaux, mais ce qu'il ressentait à ce moment-là était au-delà de tout ce qu'il avait déjà connu.

Ephémère, elle, avait hâte de redécouvrir les tatouages d'Orgon qu'elle avait aperçus dans le reflet du lac d'Aeris. Chacun se renvoyant le désir de l'autre, ils s'enfoncèrent un peu plus dans les fleurs. Et à mesure que le sol s'ouvrait sous eux et qu'ils ôtaient leurs vêtements, Ephémère et Orgon découvrirent une nouvelle forme d'intimité sous les lunes d'Atéor.

Les Lunes d'Atéor - Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant