Ephémère

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— Alors, c'est toi Ephémère ? murmura-t-elle à son reflet malgré elle.

Le visage d'Ephémère se détourna du miroir, une inquiétude sourde la poussant à vérifier que la porte de la cabine, en bois verni, était bien fermée. Un soulagement l'envahit : il n'était pas mort ! Elle ferma les yeux et sentit les grands chênes millénaires autour d'elle. Dans sa main, elle sentit la texture familière du cuir, à la fois douce et rugueuse. Des rennes, savait-elle. Elle fit glisser les lanières entre ses doigts. Ce geste l'apaisait tout en rendant sa détermination plus forte. Partir avait été nécessaire. Et elle était reconnaissante que Kilamos l'ait sauvée. Elle se retourna, un grand oiseau la regardait curieux. Elle vit ses serres géantes qui laissaient de grandes marques dans la terre, et tomba à la renverse dans la cabine, la ramenant à sa réalité.

Darling, tout va bien ? Tu as besoin d'aide ?

La voix de sa mère, douce mais insistante, perça le voile de ses pensées.

— Non, maman, tout va bien, j'ai bientôt terminé, répondit Ephémère d'une voix lointaine.

Ce voyage psychique l'avait presque fait oublier où elle se trouvait. Elle passait la septième robe de mariée en soie blanche, lorsqu'elle fut frappée par une évidence.

Tu peux voir ce que je fais en ce moment ? demanda-t-elle à Orgon, gênée par l'idée qu'il puisse l'observer ainsi.

Oui. Enfin, pas totalement. C'est flou. Sauf tes souliers rose bonbon, répondit-il avec une pointe d'amusement dans la voix.

Elle se dépêcha de boutonner sa robe de mariée, embarrassée par le fait qu'Orgon pouvait la voir en tenue légère dans le miroir. Elle sortit de la cabine rapidement, comme les six fois précédentes.

— Ma chérie ! C'est celle-ci qu'il te faut ! Regarde comme elle te va bien ! Coiffeuse, venez donc attacher ses cheveux pour dégager sa nuque. Voilà, voilà, c'est parfait !

Les mots enthousiastes de sa mère résonnèrent dans la pièce, mais Ephémère les entendait à peine. Ephémère fixait l'immense mur entièrement couvert de miroirs dans la salle d'essayage. Elle venait d'arriver dans une ville. Elle s'arrêta et attacha son Soufflet dans un geste précis. C'était une sensation étrange, fabuleuse, que de vivre une existence qui ne lui appartenait pas. Le lien entre elle et Orgon se renforçait, une connexion intense où leurs perceptions semblaient se mêler, l'un se fondant dans l'autre.

Félicitations pour ton futur mariage, lança Orgon d'un ton distant avant de disparaître dans l'ombre d'un bar obscur.

La connexion s'interrompit brusquement. Ephémère fixa ses grands yeux bleus dans le miroir, une tristesse inexprimable montant en elle. De tous les endroits sur cette terre et au-delà, ce n'était vraiment pas ici qu'elle voulait être. Elle réalisa que de tout ce qu'elle désirait au monde, et ce n'était pas une grande liste, se marier avec Mr Louis n'en faisait assurément pas partie.

Maman, je ne pense pas pouvoir épouser Mr Louis, murmura-t-elle silencieusement à sa mère.

— Ma darling, c'est normal d'avoir peur. Mais tu as accepté la demande de Mr Louis depuis un moment maintenant, c'est normal de se languir et de vouloir te consacrer à ton époux. Tu verras, une fois mariée, tu seras heureuse, répondit sa mère tout haut, un sourire enjôleur aux lèvres, comme pour faire obéir sa fille plus fermement.

Ephémère connaissait trop bien le pouvoir de sa mère. Elle pouvait influencer les émotions des autres, un don subtil et redoutable. Mais cette fois, Ephémère en fut consciente. Son cœur repoussa la vague de confort qui menaçait de l'envahir. Et la vague s'estompa jusqu'à disparaître complètement.

— Oui, maman, tu as raison, je vais être heureuse, répondit-elle en mentant dans un sourire éteint.

Les Lunes d'Atéor - Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant