— Qui es-tu ?
— Orgon. Et toi ?
— Ephémère.
Un silence pesant s'installa entre les deux jeunes. Comment était-ce possible ? Éphémère, assise en tailleur sur son lit, fixait la porte de sa chambre, l'air absent. Les deux lunes d'Atéor diffusaient une lueur douce et argentée qui caressait les murs, révélant les délicates dorures que la lumière du jour ne parvenait jamais à faire briller. Une brise légère s'insinuait par les grandes fenêtres cintrées, faisant danser les rideaux blancs et emportant avec elle les effluves sucrées des vergers en contrebas.
— As-tu déjà parlé à quelqu'un... de cette manière ?demanda la voix dans sa tête.
— Non.
Non, Éphémère n'avait jamais communiqué ainsi. Pourtant, elle pensait maîtriser ses pouvoirs. Deux ans s'étaient écoulés depuis ses premières expériences, deux ans durant lesquels elle avait appris à apprivoiser l'Influence. Elle pouvait, en se concentrant, entrer en résonance avec les êtres vivants passifs, ressentir les végétaux comme une douce vibration en elle. C'était ainsi que le Précepteur décrivait sa capacité à accélérer la croissance des dattes ou à insuffler de la vie dans les fleurs mourantes du jardin. Mais rien de tout cela n'était comparable à ce qui se passait depuis quelques jours, et ce soir, encore moins. Ce soir, elle lui parlait, à lui, comme s'il était là, niché dans son esprit, comme s'il était elle.
— Je t'ai senti... je t'ai ressenti. Cela a commencé il y a quelques semaines, précisa-t-elle.
C'était une évidence qu'elle portait en elle depuis le début de cette étrange conversation. Ces émotions qui lui étaient étrangères, ces visions furtives, ces pensées qui ne lui appartenaient pas, elle les vivait à travers lui depuis un moment déjà.
— J'ai vu... J'ai vu... l'accident, déclara-t-elle avec douceur.
La voix grave qui résonnait dans son esprit se tut soudain. Un nœud d'angoisse se forma dans son ventre. Avait-elle bien fait d'en parler ? L'avait-elle effrayé ? Un instant, elle hésita, puis ferma les yeux, se plongeant sans réserve dans cette connexion immatérielle. Non, la voix n'avait pas disparu. Orgon était toujours là. Elle pouvait sentir sa présence, une peur viscérale mêlée à une culpabilité déchirante.
— Ce n'est pas ta faute, ajouta-t-elle pour le rassurer.
Dans son esprit, elle percevait Orgon, presque tangible, une silhouette informe et sans visage, un être façonné par des émotions brutes. La tristesse et la colère semblaient l'étreindre comme des chaînes. Alors qu'Éphémère rouvrait les yeux, le décor changea brusquement. Le doux clair de lunes laissa place à une obscurité abyssale. Devant elle s'étendait un océan noir, infini. Les vagues se brisaient contre des rochers invisibles avec une fureur assourdissante, et pourtant, elles l'attiraient irrésistiblement. Les deux lunes avaient disparu, ne laissant derrière elles que des étoiles voilées par une brume glaciale. Elle frissonna. Le froid envahissait son corps, mais c'était la colère, la haine de soi, et cette insupportable culpabilité qui anesthésiaient ses sens. Le désespoir la submergeait, emprisonnée dans cette douleur qui dévorait peu à peu sa raison.
— Si, tout est de ma faute, murmura Orgon, avant de se jeter dans le vide.
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Les Lunes d'Atéor - Livre I
FantastiqueDans un monde magique, des destins s'entrecroisent autour de mystères anciens et de pouvoirs uniques. Éphémère, une jeune fille dotée d'une capacité surnaturelle, entre en communication avec Orgon, un garçon hanté par la culpabilité d'un accident tr...