Andrew et Peter étaient allongés tous les deux dans le lit, la lumière de la lune éclairait légèrement la chambre. Le marquis caressait du bout des doigts le bras du garçon posé sur son ventre.
-J'avais vingt-deux ans lorsque j'ai été envoyé en Crimée. Ma mère prétendait que la guerre ferait de moi un noble digne de ce nom. J'étais lieutenant pour l'armée britannique, je dirigeais une unité d'une cinquantaine d'hommes. Les premiers mois, j'ai aimé, cet esprit de camaraderie, l'excitation que l'on ressentait sur le front, oui, j'ai aimé. Les choses étaient si claires dans mon esprit. Nous devions protéger l'empire ottoman contre l'expansion de la Russie, c'était notre devoir. J'ai tué plus d'une centaine de soldats, sans la moindre once de culpabilité. Ils nous disaient que cette guerre était spirituelle. La France voulait récupérer les lieux saints, pour protéger les chrétiens catholiques des chrétiens orthodoxes de Russie. Ils nous disaient que nous étions du côté du bien.
Andrew échappa un rire tristement sarcastique.
-Mais évidemment tout cela n'était que des mensonges. Reprit-il froidement, les yeux perdus dans l'obscurité. Et puis, il y a eu ce fameux jour. Nous avions reçu l'ordre directement d'Angleterre, l'évêque impérial Ambrose Falkner nous envoya dans ce village de Crimée qu'il accusait être des alliés des russes. Alors nous y sommes allés, avec mes hommes et là, nous avons...
Andrew s'interrompit, ses mains qui caressaient Peter se mirent à trembler. Le garçon se releva, devant la tourmente du noble, il l'encouragea d'une voix douce.
-Dîtes moi, Monseigneur, dîtes moi ce qu'il s'est passé.
Le noble planta ses yeux dans ceux de son amant qui tressaillit devant la noirceur de son regard.
-Mes hommes...les ont tous massacrés, chuchota-Andrew comme si quelqu'un pouvait les entendre. Un village entier. Des femmes, des enfants, tous, jusqu'au dernier. J'ai vu des nourrissons être jetés dans des flammes, j'ai vu des femmes se faire violer devant leurs pères et leurs frères. Ce que j'ai vu ce jour-là, Peter, n'avait rien à voir avec Dieu, j'ai vu le diable en personne à travers la folie d'un seul homme, confortement installé dans ses quartiers pendant que nous commettions ces abominations.
Peter sentit un frisson glacé descendre le long de son échine. Il fixait Andrew, les yeux écarquillés, la respiration haletante. Il voulait parler, dire quelque chose, mais aucun mot ne franchissait ses lèvres. Une vague de compassion le traversa, suivie de l'effroi. Malgré tout ce que le noble lui avait fait, malgré sa cruauté, Peter pouvait voir la blessure vive qui le tourmentait.
-Et vous, Monseigneur, qu'avez-vous fait ? Finit-il par demander, la gorge nouée.
-Rien, Peter, souffla-t-il. Je n'ai rien fait. J'étais tétanisé. Et puis, j'ai vu cette petite fille qui m'a supplié de la sauver. Je...J'allais le faire Peter, j'allais la sauver mais mon sergent est arrivé par derrière, sur son cheval, je lui ai ordonné de s'arrêter mais il ne pas l'a pas fait. Il la...
Andrew se redressa sur le lit, il plongea sa tête entre ses mains. Son souffle s'accélérait de plus en plus.
-Depuis ce jour, ces images ne me quittent plus. Ces femmes, ces enfants, tous ces innocents morts pour la soif de pouvoir d'un homme qui prétend parler au nom de Dieu. Ces fantômes, c'est moi qu'ils viennent hanter chaque nuit, pas l'évêque Falkner.
Le marquis tremblait de colère.
-Mon père, haïssait cet homme, et il avait raison. C'est ce même évêque qui a vivement supputé l'idée de m'envoyer à la guerre, auprès de ma mère. Mon père y était opposé mais ils l'ont quand même fait. J'ai toujours suspecté ma maudite mère d'avoir entretenu une relation adultère avec ce diable.
Peter, d'une main hésitante, caressa du bout des doigts l'épaule du noble. Ce dernier baissa ses mains pour se tourner à nouveau vers son amant.
-Monseigneur... Vous n'êtes pas hantés par ces fantômes, c'est votre culpabilité qui parle et c'est une bénédiction. Cela veut dire que vous êtes un homme bien plus noble que ceux qui ont ordonné cette horreur. La culpabilité, Monseigneur, est un privilège qui n'est pas donné à tout le monde. Cet homme, l'évêque Falkner, quand bien même aurait été sur le front, aurait vu les horreurs que vous avez vu, cela ne l'aurait pas empêché pour autant de dormir sur ses deux oreilles car, Monseigneur, je vous l'assure, cet homme est maudit.
Andrew en eut le souffle coupé par la réponse de son amant. D'abord hébété, il finit par sourire.
-Regarde toi, te voilà maintenant en train d'insulter l'évêque impérial, ai-je déjà fait de toi un blasphémateur ?
Peter rougit devant les moqueries du noble qui le voyait comme un simple puritain, incapable de penser que les hommes d'église puissent mentir.
-Ne vous moquez pas Monseigneur, je ne suis pas si naïf vous savez, dit-Peter. Ma foi ne me rend pas aveugle pour autant. Depuis toujours, le diable s'est caché derrière le divin. C'est là où est toute sa sournoiserie.
Andrew poussa Peter sur le matelas, le noble plaqua les poignets de son amant, se tenant au-dessus de lui. Le noble lécha la nuque de Peter qui échappa une plainte de plaisir.
-Je suis très loin de croire que tu es naïf Peter. Tu m'as prouvé récemment ta sournoiserie.
Andrew mordit légèrement le cou du garçon qui grimaça.
-Non, Monseigneur ! Je...
Peter s'interrompit, il brûlait d'envi de lui dire qu'il ne l'avait pas trahi, il savait à présent les blessures du noble et le garçon n'eut jamais eu autant envi qu'il lui fasse confiance mais le visage de Mary Shelley lui revint à l'esprit, s'il parlait, son amie serait condamnée.
Le noble descendit jusqu'aux tétons de son amant qu'il mordilla l'un après l'autre. Peter se cambra, la langue du marquis lui procurait de délicieuses décharges électriques.
-Quoi, qui a-t-il, Peter ? Y aurait-il quelque chose dont tu voudrais me parler ?
Peter secoua la tête dans l'obscurité. Andrew sourit, oui, son amant semblait être un piètre menteur.
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L'amant du Marquis
Random[BxB] En 1859, durant l'époque victorienne en Angleterre, un jeune paysan, Peter, est envoyé travailler en tant que domestique dans les écuries du domaine d'AshFord. Le Maître des lieux, le marquis Andrew Harrington et future Duc, est rentré de la g...