A contre-courant

Chapitre 11

     Lorsqu'elle pénétra enfin dans l'enceinte du Black Pearl, Elisabeth fut instantanément frappée par l'ambiance qui s'en dégageait. Avec ses tonneaux en guise de tables, son plancher en bois et sa grande carte de shooters et de cocktails maisons, l'endroit vous plongeait tout droit dans la cale d'un bateau pirates.

    Jouant des coudes, Elisabeth tenta de se frayer un chemin à travers la foule. Il n'était pas vingt-trois heures que la salle était déjà bondée et l'atmosphère presque suffocante. Pourtant, elle n'eut aucune difficulté à repérer la bande de moniteurs, qui discutaient debout au fond de la pièce. Ce fut Manu qu'elle remarqua en premier, avec ses longues dreadlocks ramenées en une queue de cheval.

    Cherchant Julia du regard, Elisabeth se ravissait déjà à l'idée de pouvoir débouler au milieu du groupe et d'accuser Léo de lui avoir menti quant à la présence de cette dernière. Mais, à sa grande surprise, aucune trace de son amie. Elle patienta quelques instants, dans le cas où elle serait partie aux toilettes. Pourtant, après plusieurs longues minutes, elle dut se rendre à l'évidence : Julia restait introuvable pour la simple et bonne raison qu'elle n'était pas venue à la soirée. Léo ne lui avait donc pas menti.

    Et à dire vrai, il ne lui avait pas non plus menti quant au fait que la boîte de nuit était strictement interdite aux mineurs : quand Elisabeth avait voulu entrer, elle avait immédiatement été arrêtée par deux espèces de colosses qui demandaient à voir les cartes d'identité à chaque passage.

    Après s'être faite refoulée une première fois en prétextant avoir oublié ses papiers, puis une seconde fois en essayant de se glisser au milieu d'un groupe, Elisabeth s'était résignée à faire le tour du bâtiment dans l'espoir de trouver une autre manière d'entrer. Elle avait finalement découvert une lucarne restée entre-ouverte à l'arrière de l'édifice. Il lui avait bien fallu une dizaine de tentatives avant de parvenir à s'y hisser, fière d'elle – ce qui lui avait d'ailleurs valu quelques égratignures ainsi qu'un bel hématome au genou.

    Mais, en fin de compte, elle s'était donnée tout ce mal pour rien. Elle n'avait plus qu'à ravaler sa fierté et rentrer bêtement se coucher avant que Léo ne s'aperçoive de sa présence. Elle pouvait déjà imaginer le grand sourire satisfait qu'il lui ferait si elle avait le malheur de le croiser, comme pour signifier « Alors, je ne te l'avais pas dit ? ».

    D'ailleurs, en parlant de lui, où était-il ? Elisabeth était tellement focalisée sur son amie quelques instants plus tôt qu'elle en avait oublié Léo. Pourtant, lui non plus n'était pas avec la bande de moniteurs.

    Elle sentit tout à coup l'espoir renaître en elle : et s'il avait changé d'avis ? Peut-être s'était-il rendu compte que leurs comportements étaient aussi puérils l'un que l'autre et qu'à cette heure-ci, il était en train de la chercher à Terre de Glisse, dans l'idée de se réconcilier ?

    Plus elle y songeait, et plus cela lui paraissait évident. Il était probablement en train de l'attendre là où il en avait l'habitude, assis sur le porche de sa maison. A cette pensée, Elisabeth ne put s'empêcher de laisser échapper un sourire bienheureux. Ils avaient été si bêtes, tant l'un que l'autre, à se chamailler pour un oui ou pour un non. Elle s'en rendait compte maintenant ! Cette fois, elle était prête à lui pardonner et ils mettraient définitivement fin à cette stupide petite gueguerre qu'ils se livraient depuis trop longtemps.

    Mais alors qu'elle s'apprêtait à partir, pressée d'aller le retrouver, un rire attira soudain son attention. Un rire qui résonnait comme une douce mélodie dans la nuit, un rire dont lui seul en avait le secret. Elle aurait pu le reconnaître entre mille. Sentant son cœur s'accélérer dans sa poitrine, elle le chercha du regard à travers la foule.