Chapitre 3

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Lundi 12 août 2019

— Cela m'embête de te demander de sécher ton cours de littérature mais je viens d'apprendre que Thomas, l'un de mes moniteurs de surf, est cloué au lit ce matin et je n'ai trouvé personne d'autre pour le remplacer.
— Mince... Qu'est-ce qu'il a ? voulu savoir Elisabeth.
— Il pense à une indigestion. C'est déjà le second cas en deux jours, j'espère que l'on ne va pas se retrouver avec une intoxication alimentaire collective..., songea Monsieur Armilhac, soucieux.
Elisabeth dût se mordre la lèvre pour éviter d'éclater de rire. Une indigestion ? Il n'avait rien trouvé de mieux comme excuse ? A l'heure qu'il était, il était probablement la tête dans les toilettes non pas à cause d'une indigestion mais avec une belle gueule de bois, oui !
— Quoi qu'il en soit, Léo se retrouve seul pour la leçon de ce matin, continua son père. Le taux d'encadrement est bon mais vu le groupe, je pense qu'un peu de renfort lui irait bien. Et comme je sais que vous vous entendez bien, j'ai pensé à toi. Mais si tu ne peux manquer ton cours, ne t'en fais pas, je vais voir si...
— Pas de problème, je le remplace ! s'empressa d'accepter Elisabeth avant que son père ne change d'avis.
C'est pleine d'impatience qu'elle sauta sur son vélo et pédala avec entrain en direction de la Maison de la Glisse.

Daphnée, la réceptionniste, avait visiblement été mise au courant de sa venue puisqu'au moment où Elisabeth arrivait à l'entrée du bâtiment, l'hôtesse lui indiqua directement le chemin à suivre jusqu'aux vestiaires du Staff.
Avec un petit sourire satisfait, Elisabeth quitta le hall d'accueil avant de s'engager timidement dans l'aile réservée au personnel. Cela lui faisait tout drôle de se retrouver ici. Non pas que ce soit la première fois qu'elle parcourait cette partie de l'édifice. Elle y avait déjà accompagné son père à plusieurs reprises par le passé – mais jamais en tant que membre du Staff.
En chemin, elle reconnut quelques visages familiers de personnes qu'elle avait rencontrées lors de la soirée sur la plage. A sa grande surprise, plusieurs d'entre eux la saluèrent d'un petit hochement de tête ou par un léger sourire qu'elle leur rendit.
Son cœur s'accéléra soudain quand, à l'autre bout du couloir, elle aperçut Léo qui venait dans sa direction.
Ils ne s'étaient pratiquement pas revus depuis la soirée surf nocturne. Après l'avoir quitté à l'aube, le lendemain matin, Elisabeth avait filé à son cours de littérature – cours qu'elle avait presque entièrement passé à somnoler. Et avec l'organisation du grand challenge sportif, Léo avait été très affairé durant tout le week-end et l'occasion de se retrouver seuls ne s'était pas présentée, à leur plus grand regret.
Lorsque le moniteur arriva à sa hauteur, Elisabeth lui sourit timidement. Il semblait clairement tout aussi excité et troublé qu'elle à l'idée de la revoir. Il lui rendit son sourire et, après s'être assuré que personne ne leur prêtait attention, il lui souffla à l'oreille :
— Je viens de croiser ma nouvelle collègue, j'ai hâte de travailler avec elle ! ...Thomas devrait être absent plus souvent, ajouta-t-il avec un clin d'œil complice avant de poursuivre son chemin comme si de rien n'était.
C'est avec le cœur léger et les joues rosies de plaisir qu'Elisabeth repartit en direction du vestiaire.

Lorsqu'elle le rejoignit finalement à l'extérieur du bâtiment, Léo était en train d'échanger une poignet de main avec un homme barbu âgé d'une trentaine d'années. En la voyant approcher, ce dernier lui adressa un petit signe de la main.
— Mathias, enchanté. Je suis l'éducateur qui suit une partie des enfants du groupe de ce matin.
— Enchantée, le salua Elisabeth à son tour, sans toutefois avoir réellement compris la raison de sa présence.
Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle pouvait dire adieu à sa matinée en tête à tête avec Léo... Elle qui s'était imaginée leurs retrouvailles de mille et une manières possibles durant le trajet pour venir à la Maison de la Glisse ! Elle s'attendait à tout, sauf à ça...
Après avoir vérifié que le dénommé Mathias était occupé, Elisabeth se tourna discrètement vers Léo :
— Je suis très contente d'être là mais je t'avoue que je ne comprends pas bien pourquoi mon père m'a fait venir s'il y a déjà Mathias pour t'aider.
— Ne t'en fais pas, tu ne seras probablement pas de trop ! Nous deux, on s'occupe du surf. Lui, il est juste là en cas de crises. (Comme Elisabeth fronçait les sourcils, il précisa) Ah oui, on ne t'a peut-être pas dit mais plusieurs des enfants du groupe de ce matin présentent des troubles du comportement.
— Qu'est-ce que c'est ? s'enquit Elisabeth. Une sorte de handicap, comme l'autisme ?
Elle se souvenait vaguement avoir déjà entendu cette expression quelque part. Peut-être un reportage à la télé...
— Plus ou moins. Je crois que ce sont des enfants qui ont des difficultés à respecter les limites. Mais demande à Mathias, je suis sûr qu'il sera ravi de t'expliquer et il le fera certainement mieux que moi. Je ne suis pas très calé sur le sujet.
L'éducateur, qui avait entendu la fin de leur conversation, se joignit à la discussion.
— Disons qu'il ne s'agit pas d'un « handicap » comme on l'entend souvent ; avec une déficience intellectuelle, je veux dire. A première vue, ce sont des jeunes tout à fait ordinaires. Leur difficulté vient du fait qu'ils présentent ce qu'on appelle un « TOP » : un Trouble Oppositionnel avec Provocation.
Comme Elisabeth le regardait sans vraiment comprendre ce qu'il entendait par là, Mathias développa :
— Il s'agit d'un trouble neuropsychiatrique qui se caractérise par de la provocation, des crises de colère et une opposition permanente. Ce sont des enfants qui ont généralement beaucoup de mal à se plier aux consignes et à canaliser leur agressivité. Ils présentent aussi souvent une grosse intolérance à la frustration. Tu t'en rendras vite compte, leur réaction prend généralement d'importantes proportions, tout est décuplé...

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