Maudits - 10

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Je voulais interroger Lerren également, mais je préférai avoir l'accord du chef avant. Pensant qu'il serait au même endroit qu'Aïna, je me dirigeai vers le regroupement de villageois et de chèvres curieuses qui me semblait indiquer la présence de l'alchimiste.

Je n'avais pas tort sur un point, Aïna était bel et bien en train de scruter minutieusement chaque secteur de la barrière. Elle utilisait pour cela ce qui à mes yeux n'était que trois baguettes de bois gravées et attachées ensemble pour former un triangle.

En regardant mieux, je vis des effets de lumière entre ces trois baguettes, comme si on avait posé une vitre triangulaire, gardé ses reflets et enlevé le verre. Au moins, on voyait clairement que les artefacts qu'elle utilisait étaient magiques, à défaut d'être spectaculaires.

Je lui demandai en arcien :

"Tout va bien ? Tu n'as rien trouvé ?

‒ Tout va bien. Et je n'ai rien trouvé. Et toi ?

‒ Rien de concret, mais je commence à en savoir plus... Il faut que j'interroge Lerren ou Ona, tu les as vus ?

‒ Je ne sais pas qui c'est.

‒ Les conjoints des victimes. Je t'expliquerai, il y a pas mal de choses qu'on doit mettre au point...

‒ On va avoir le temps. Le chef refuse qu'on se mêle aux villageois pendant la nuit. Nous, on sera invités d'office chez lui - enfin, dans la maison officielle, là où on a mangé tout à l'heure. Eux, ils vont organiser leurs rondes. On ne sera pas sensé sortir.

‒ Je vois que la confiance règne...

‒ Disons que ce n'est pas brillant. Je te raconterai. Je crois que de toutes façons, c'est l'heure."

Effectivement. Placé comme l'était le village, il était difficile de déterminer le coucher de soleil, puisque même lorsqu'il avait disparu derrière la montagne ses rayons illuminaient les montagnes en face. Mais plus aucune d'entre elles ne brillait à présent et la nuit gagnait du terrain. Sans oublier que le chef Eyr venait vers nous à grands pas.

Délaissant son labeur, Aïna rangea soigneusement son instrument dans une pochette de cuir et se redressa, à nouveau imperturbable et en apparence sûr d'elle. Je commençai à comprendre pourquoi la vieille Libellule voulait que je vois ce qu'elle avait dans le ventre. Elle pouvait être maladroite, timide et rougir d'un rien sur certains sujets, mais lorsqu'on arrivait aux choses sérieuses, elle avait un sacré potentiel. Je me jurai, à la fin de cette mission, de chanter suffisamment ses louanges pour que les Libellules la prennent au moins comme postulante.

Eyr ne nous demanda même pas où nous en étions. Il se contenta de nous adresser son regard le plus lourd de mépris et de nous faire signe de le suivre. Les villageois murmuraient dans notre dos.

Je me sentis frémir. Absurde, c'était absurde pour moi d'avoir peur, nous avions été appelés pour faire ce travail et nous le faisions. C'était leur détresse qui les avait poussés à avoir trop d'attentes envers nous, à présent il fallait bien qu'ils se fassent à l'idée que leur sauvetage ne serait pas instantané. Ils en avaient vu d'autres. Ils se calmeraient.

Le chef nous fit entrer dans sa maison, nous donna une lampe à huile et ferma la porte derrière nous, nous laissant seuls dans la cabane. Je n'avais pas trouvé d'idée pour désamorcer son hostilité. Il ne me restait plus que l'espoir qu'il s'apaise de lui-même.

Je demandais à Aïna :

"J'en déduis qu'il n'habite pas vraiment ici ?

‒ Non, je crois que c'est plutôt un lieu de réunion. C'est pour ça que c'est aussi grand et aussi vide.

Kenjara - les enquêtes de Loc ReyisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant