Je repartis, seul pour la première fois dans les imposants couloirs de la Tour. Bien qu'ils soient à nouveau marqués par les goûts de Faraäd, ils n'avaient plus rien à voir avec le paisible palais donnant sur une belle campagne que nous avions vue la veille seulement. L'aermestre était bouleversé, aussi inquiet que furieux, et ça se voyait autour de nous. Le marbre blanc était taillé en angles pointus, inutilement tordus et menaçants, et le faux paysage donnait à présent sur un ciel bleu à perte de vue, parsemé ici et là de lourds et menaçants nuages sombres, comme si nous volions trop haut pour distinguer le sol. Un vent glacial parcourait les lieux, ses bourrasques me déstabilisaient aux pires moments, et je me demandai avec inquiétude ce qui arriverait si je tombais : ce ciel avait beau être une illusion, la hauteur de la Tour, quant à elle, ne l'était pas.
Je continuais ma route en tentant de rester concentré sur mon chemin et pas, au hasard, sur l'attente de hordes de créatures magiques me tombant dessus par surprise.
Je ne me considère pas comme un lâche, bien que ma faiblesse physique m'ait empêché de participer à la guerre. Comme Ijja l'avait fait remarquer, j'avais déjà joué les appâts. Cependant, j'étais en train d'apprendre que provoquer un humain qu'on soupçonne du pire est une chose, attendre une attaque venue de nulle part en est une autre, et mes nerfs étaient mis à rude épreuve.
J'ai violemment sursauté lorsque j'ai entendu la voix de Faraäd dans mon dos :
"Que fais-tu ici ? Où sont les autres ?
— Ah, heu... je cherchais les elfes ?
— Avec quoi ?
Je lui montrai piteusement ma dague. Il me tendit la main en ordonnant :
— Donne-moi ça. Comment oses-tu faire entrer une arme dans ma Tour ? Et où est l'autre, avec son épée ?
— Vous voulez dire, l'autre enquêtrice ?
— Oui, où est-elle ?
— Elle veille sur l'autre mage, comme vous le lui avez demandé.
— Bien. Bien. Je vais lui parler de ce pas. En attendant, donne-moi ta lame, et ton sac. Je ne veux pas que tu utilises ce genre de choses ici.
Je lui tendis docilement la dague, garde en avant, puis mon sac. J'avais gardé ce dont j'avais besoin sur moi...
C'est alors qu'une servante s'approcha de nous et dit doucement au mage :
— Maître, n'oubliez pas qu'il est votre ami. Votre allié le plus cher et le plus précieux. Ne soyez pas trop dur avec lui.
Sans vraiment pouvoir me contrôler, je me mis à sourire à Faraäd. Je savais ce qu'il était, et pourtant l'affirmation de la servante-marionnette me paraissait couler de source. Bien sûr que j'étais son ami et son allié naturel.
Il marqua une pause puis sourit et acquiesça :
— C'est vrai, et je ne te remercierai jamais assez pour ça, Loc Reyis. Tu es mon ami et mon allié fidèle et précieux, tout comme je suis ton ami et ton allié fidèle et précieux. Jamais tu ne me ferais de mal. Au contraire, tu vas m'aider, n'est-ce pas ?
— Bien sûr, je vais vous aider.
— Allons, appelle-moi par mon nom. C'est une marque de ton amitié, n'est-ce pas ?
Le nom de Faraäd me brûlait la langue. J'avais juré à Ijja et Jilom que j'étais capable de résister, mais cela semblait si anodin, devant Faraäd lui-même... Je ne pouvais pas le faire. Mais je ne pouvais pas refuser.
Pour gagner un peu de temps, je demandais :
— Et ensuite ? Qu'allez-vous faire ?
— Vaincre nos ennemis, bien sûr. Et vivre ici pour toujours. C'est un très bel endroit. Très puissant. Si tu l'aimes, tu pourras y vivre aussi, Loc Reyis. Avec... Comment s'appelle ton amie, déjà ?
VOUS LISEZ
Kenjara - les enquêtes de Loc Reyis
Mystery / ThrillerBienvenu à Kenjara, le Pays Libre des Dragons. Et des humains, depuis peu, depuis que les caprices géopolitiques de ce monde ont conduit les créatures fabuleuses à accepter les réfugiés de mille pays sur leurs terres pour les défendre contre les Si...