Et Aïna y alla.
— Pourtant, en dépit de tous vos efforts, le rendement de vos terres est insuffisant.
— Ce n'est pas notre faute !" s'exclama Guémon. "Et ça s'arrange de plus en plus ! Petit à petit, nous améliorons nos techniques.
— Petit à petit, oui. Mais vous n'êtes pas en position d'attendre. Les soldats sont rentrés, et il va falloir les nourrir.
Les yeux d'Ajja lançaient des éclairs. Elle vit que je l'observais et fit semblant d'éclater en sanglots, le visage dans les mains. Trop tard. Aïna était sur la bonne piste et je le lui signalais d'un discret coup de pied sous la table. Elle resta sur la même ligne, ajoutant :
— Comment s'est préparé Cherbier ? Toutes les maisons ont-elles de quoi faire face à l'hiver ?
— Bien sûr," dit Ijja. "Nos soldats sont rentré avec de l'or et nous avons fait nos stocks. Pas de soucis pour cette année.
— Et pour l'année prochaine ?
— Nous sommes assez nombreux maintenant pour cultiver de quoi subvenir à nos besoins.
— Vous arriverez à survivre, sans doute. Mais tout le monde mangeait bien plus à sa faim quand vous n'étiez pas là, n'est-ce pas ?
Blessée, Ijja marmonna :
— C'est temporaire. Et il y a d'autres solutions. Isadora...
— Et vous, Ajja ? Vous pensez qu'Isadora vous sauvera ?
Prise de cours, je cru qu'Ajja allait encore une fois fuir en faisant semblant de pleurer, mais au contraire, elle en profita pour assurer d'une voix venimeuse :
— Isadora n'en a rien à faire de tout ce qu'on peut perdre. Elle a promit que personne ne mourrai de faim, et tant qu'elle tient sa promesse, ça lui suffit ! Elle ne se rend pas compte des problèmes de...
— Ajja !" l'interrompis Guémon très gêné. "Je t'en prie. Ça n'a rien à voir...
— Si Père, si, ça a tout à voir. Jamais elle n'aurait dû donner des terres aux soldats. On est en train de perdre tout ce qu'on mit si longtemps à construire !
— Allons, allons, ce n'est pas la faute des soldats... Je pense que c'est la répartition, le problème, vous comprenez ? On pourrait être beaucoup plus nombreux à cultiver s'il n'y avait pas ces accords avec les dragons. Bien que je ne veuille pas critiquer notre seigneur, qui est juste, on est quand même assez à l'étroit...
Ijja intervint, agacée :
— Vous savez très bien que sans les soldats et sans les seigneurs du ciel, il n'y aurait plus de Kenjara depuis belle lurette, et Cherbier ne serait plus qu'un tas de cendre ! Vous auriez vraiment préféré retomber sous la coupe d'Arcia ? Après tout le mal qu'on s'est donné pour la fuir, pour reconstruire une vie ailleurs ?
— Oh, merci," persifla Ajja, "merci infiniment de nous avoir sauvés. Ce n'est pas comme si c'était votre pays aussi. Ce n'est pas comme si nous avions fait notre part, nous aussi, jour après jour, pour tenir et nourrir l'armée ! Vraiment, c'est indispensable qu'on vous glorifie et qu'on vous récompense jusqu'à la fin de votre vie !
— Je n'ai pas dit ça ! Et on a bien l'intention de la faire, notre part, maintenant qu'on est rentrés !
— Sur nos terres !
Ajja avait crié ces derniers mots.
Le visage d'Ijja s'est complètement fermé. Elle n'avait jamais autant ressemblé à une combattante qu'en cet instant, et n'avait jamais semblé aussi hermétique.
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Kenjara - les enquêtes de Loc Reyis
Mistero / ThrillerBienvenu à Kenjara, le Pays Libre des Dragons. Et des humains, depuis peu, depuis que les caprices géopolitiques de ce monde ont conduit les créatures fabuleuses à accepter les réfugiés de mille pays sur leurs terres pour les défendre contre les Si...