Pour la Moisson - 16

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J'étais encore plongé dans mes réflexions quand Aïna insista de nouveau :

— On essaye de cerner sa personnalité. On a bien compris que vous n'avez rien vu de suspect. Il nous faudra aussi votre avis sur Guémon.

— Sa personnalité ? C'est à dire ?

— Comment est-ce que vous la décririez, à quelqu'un qui ne la connait pas ?

— Ajja ? Heu... et bien, c'est une jolie fille. Elle est gentille. Loyale. Quand elle s'attache à quelqu'un, c'est "à la vie à la mort". Je sais qu'on la juge souvent mal parce qu'elle prend soin de son apparence, mais pour une paysanne, ça veut dire qu'elle se donne un surcroit de travail, pas qu'elle évite les travaux pénibles. Personne ne l'a jamais surprise à paresser.

» Et Guémon, il travaille très dur lui aussi. Il a fait un choix différent de notre famille, il a préféré qu'aucun des siens ne parte à la guerre. Au contraire, il a aidé beaucoup de familles dont l'homme était parti pour cultiver leurs terres. Et lorsqu'il n'était pas en train de cultiver, il vendait des choses que fabriquaient les uns ou les autres un peu partout. Ça, je peux vous dire qu'il en a fait, des kilomètres. Il a finit par se faire un peu de pécule, mais rien d'indécent non plus. Et c'est normal. Il a fait ce qu'il fallait pour. Je crois que ses seules folies, c'était pour gâter sa femme et ses enfants. Et tout le monde sait que c'est quelqu'un d'honnête. On lui fait tous confiance au village, depuis des années.

— Et Ajja, est-ce qu'elle est intelligente ? demanda Aïna.

— Comparé à qui ? rétorqua immédiatement Ijja.

— Comment ça ?

— Comment je suis censée vous répondre ? J'imagine que vous, vous l'êtes, avec vos papiers et vos calculs. On doit tous vous paraitre stupide.

J'intervins :

— Est-ce qu'elle a du mal à comprendre ce qui se passe autour d'elle, d'habitude ?

Ijja prit le temps de la réflexion, me scrutant comme pour évaluer si j'étais dangereux ou inoffensif. Elle finit par hausser les épaules et botter en touche :

— Elle est comme tout le monde, j'imagine. Mais elle est vraiment bouleversée en ce moment. Être soupçonnée est très dur à vivre pour elle.

— Pourquoi ça serait plus dur pour elle que pour vous ? Tout le monde nous en parle comme d'une personne fragile, mais ce n'est pas la vision que vous en avez, n'est-ce pas ?

— Je reviens de la guerre. Ce n'est pas elle qui est fragile, c'est moi qui suis solide. Ajja est juste quelqu'un de normal. Il ne s'est rien passé qui l'aurait changée en monstre ou je ne sais quoi. On s'est un peu perdues de vue et ça nous a fait bizarre de nous retrouver réunies à nouveau, alors qu'on avait grandies et changées. Mais on a beaucoup parlé et on s'est retrouvées. Soupçonnez-moi si vous voulez - après tout, je suis comme une mercenaire, je suis partie tuer des gens pour obtenir ma récompense à la fin. Mais il n'y a rien, chez Ajja, qui puisse la faire accuser de quoi que ce soit. Et Guémon non plus. Il n'y a aucun moyen pour qu'un des deux ait voulu voler une marchande de passage. Est-ce que c'est clair ? C'est bon, je peux partir maintenant ?

— Qui s'occupait des chevaux ? demanda Aïna brusquement.

— Pardon ?

— Dans le refuge. Qui s'occupait des poneys et de l'âne ? Leur changer la litière, leur mettre à boire et à manger ?

— Moi. Pourquoi ?

— Vous seule ?

— Avec le guide. C'était ses bêtes à lui surtout. Mais bon, quand on commence quelque chose, c'est stupide de n'en faire que la moitié, et lui et moi on s'est vite réparti les tâches. Il cuisinait, je m'occupais des chevaux. Et oui, je pouvais facilement accéder à la trappe sans que personne ne trouve ça bizarre que je jette des brassées de paille dedans, et j'aurai pu jeter n'importe quoi avec. Ma seule défense, c'est que je n'ai pas pu m'approcher de ces foutues jarres sans que quelqu'un le remarque. D'autres questions ?

Kenjara - les enquêtes de Loc ReyisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant