Pour la Moisson - 13

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Au premier abord, Ajja semblait extrêmement calme. Elle avait dix-huit ans, autant dire que du haut de nos vingt et vingt-deux ans elle nous semblait tout sauf enfantine. Comme le soldat nous l'avait décrite, c'était une jolie jeune femme, un peu menue et qui bougeait avec délicatesse, ce qui accentuait son coté fragile.

Elle avait de longs cheveux dorés tenus par un ruban vert assorti à ses yeux, une petite bouche en cerise portant une légère touche de maquillage, des boucles d'oreille discrètes ornées de pierres vertes. Sa longue robe était d'une coupe simple et le tissu semblait usé, mais quelqu'un avait récemment brodé dessus une multitude de fleurs de couleurs vives, et elle avait mis en valeur sa taille fine par une ceinture dont la boucle d'or, flambant neuve, brillait de mille feux.

Une mise coquette, étonnante pour une paysanne. Il était visible qu'elle espérait mieux de la vie que de gratter la terre pour se nourrir.


Elle s'assit en face de nous, posant modestement les mains sur ses genoux, les yeux baissés. Comme à notre habitude, je commençai l'interrogatoire :

"Bonjour. Je suis Loc Reyis, et voici Aïna Tratchi Kirij. Nous sommes des enquêteurs du bureau d'enquêtes criminelles et Isadora nous a chargé de retrouver les grains de raingan. Je sais que beaucoup de monde vous a déjà interrogée, mais nous avons besoin de vous poser à nouveau quelques questions.

Elle approuva d'un hochement de tête timide. Son calme ne ressemblait pourtant pas à de l'inquiétude. Au contraire, elle semblait parfaitement maîtresse d'elle-même. Je poursuivis :

— Pouvez-vous nous raconter rapidement comment vous êtes arrivés dans ce refuge ?

— Je revenais de la garnison de la Corne Brisée, avec mon père et ma meilleure amie, Ijja. Le mauvais temps s'est levé plus vite que prévu et nous sommes entrés dans le refuge. Les autres sont arrivés presque tout de suite après.

Sa voix était douce, elle aussi - et là encore, j'y senti plus de retenue volontaire que de peur de répondre. Tout en elle semblait contrôlé pour ne pas déroger à son image de jeune fille délicate. Sachant qu'elle était soupçonnée, je comprenais qu'elle s'en tienne à cette stratégie, qu'elle avait sans doute souvent utilisée vu la maîtrise qu'elle montrait, mais son attitude commençait à m'agacer.

— Comment vous êtes-vous installés ?

— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Nous étions tous dans le refuge.

— A quel endroit du refuge étiez-vous le plus souvent ? Où avez-vous posé vos affaires, par exemple ?

— Près de la cheminée, je crois. Pas à coté de la sacoche de la marchande, j'en suis sûre. Je ne m'en suis pas approchée.

— Et où dormiez-vous ?

— Assez loin. J'étais entre le mur et mon père. Il ne faisait pas confiance au ménestrel et ne voulait pas qu'il profite de l'obscurité pour venir me toucher la nuit. D'ailleurs, j'ai entendu des bruits du coté de la marchande. Je suis sûre qu'il est allé la voir.

— S'il vous plait, montrez-nous sur ce plan où vous étiez installés.

Elle se pencha vers le plan d'Aïna, fronça les sourcils et dit :

— Je n'y comprends rien.

L'alchimiste lui expliqua où était positionnée la cheminée, la fenêtre, la porte, pour qu'Ajja situe un peu mieux les lieux. Mais à chaque explication, celle-ci secouait la tête en répétant :

— Je ne comprends rien, je ne comprends rien. Je ne comprends pas ce que vous voulez.

Je finis par lui faire signe d'arrêter. Autant utiliser les mots - vu l'étroitesse des lieux, ça devrait suffire pour se faire une idée.

Kenjara - les enquêtes de Loc ReyisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant