La Tour Blanche - 6

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Contrairement à Faraäd et Merrohé qui avaient créé des décorations grandioses, appelant à l'aventure et à la liberté devant un paysage ouvert, Jilom était visiblement un homme d'intérieur. Sa chambre, ou son salon, ou quel que soit le nom qu'il donnait à son antre, était fermée et pleine comme un oeuf. On y retrouvait des meubles disparates portant des milliers de bibelots ou d'instruments impossibles à identifier pour nous, des dizaines de livres étaient abandonnés ici et là, certains encore ouverts, des tentures et des tapisseries aux broderies magnifiques se recouvraient les unes les autres, des vêtements étaient laissés à l'abandon sur de magnifiques statues de pierre représentant autant de monstres terrifiants que de créatures sublimes, des verres plus ou moins vides étaient posés négligemment sur la moindre surface disponible et des assiettes sales s'empilaient en équilibre douteux dans plusieurs coins. La seule source de lumière était au plafond, un vitrail parfaitement circulaire aux couleurs vives représentant des figures géométriques complexes rappelant les cercles alchimiques d'Aïna.

Ijja se remit rapidement de ses émotions, mais à ses yeux lançant des éclairs je devinai facilement que l'apprenti n'allait pas tarder à regretter ses paroles. Effectivement, avec une rapidité de fauve elle bondit jusqu'au fauteuil et plaqua ses deux bras de part et d'autre du mage, leurs visages n'étaient plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre lorsqu'elle gronda férocement :

— Écoute-moi bien, petit, joue encore une fois comme ça avec mes nerfs et je te ferais passer l'envie de te moquer d'une enquêtrice de l'Alliance. Tu es sur une très fine couche de glace et je n'ai pas l'impression que tu t'en rendes compte. Les dragons sont sur tes traces, et ce ne sont pas tes tours de passe-passe qui te sauveront !

D'abord stupéfait, Jilom commença à reprendre le dessus et à se lever. Ijja lui arrivait au front, il ne la dominait pas vraiment de sa hauteur, mais il fit de son mieux pour protester :

— Je... qui est-ce que vous appelez petit, d'abord ! Je suis un mage ! De quel droit est-ce que vous me parlez comme ça ?

Ijja ayant fait sa part de méchant flic, c'était à moi de prendre le relais. Pour ma part, j'aurais préféré tâter le terrain pour voir à qui on avait affaire avant de lui sauter à la gorge et je ne comprenais pas ce qui lui avait perdre son sang-froid ainsi, mais ce n'était pas le moment de montrer des désaccords devant notre suspect. Je posais ma main sur l'épaule d'Ijja pour lui indiquer que je prenais la suite. Elle se mit en retrait d'un pas, dardant toujours l'apprenti de son regard le plus noir.

— Ce que ma camarade veut dire, expliquais-je suavement, c'est que en tant que suspect numéro un, essayer de malmener des enquêteurs n'est sans doute pas l'idée la plus intelligente du monde. Sans vouloir insulter les capacités d'un futur mage, bien entendu.

Jilom croisa les bras et se rassit, sans parvenir à retrouver son expression dédaigneuse. Bien, nous avions au moins réussi à l'inquiéter :

— Que... qu'est-ce qui vous prend de m'accuser ? Je n'ai rien fait ! Je ne sais même pas ce que vous êtes venu chercher !

— Vraiment ? Tes maîtres ne t'ont rien dit ?

— Non ! Et de toute manière je m'en fous, je n'ai rien fait ! Ça fait des mois que je n'ai pas mis le nez dehors ! Tout ce que je sais de ce foutu pays, c'est qu'il fait froid comme l'enfer, qu'il y a des montagnes et des dragons partout, et qu'on y mange des choses bizarres ! Je n'arrive même pas à savoir si c'est le jour ou la nuit, tout ce que je fais c'est travailler à longueur de temps ! Et puis vous n'êtes que des ignares, vous n'avez pas à vous mêler des affaires des mages !

Je sentais, à côté de moi, Ijja fulminer. Pour ma part je répondis avec mon plus grand sourire :

— Nous sommes les enquêteurs de l'Alliance. Tu sais ce que c'est, l'Alliance ?

Kenjara - les enquêtes de Loc ReyisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant