Tout aussi brusquement que la tirade avait commencé, Bira s'interrompit et nous salua d'un bref signe de tête, avant de prendre congé, suivie des deux Libellules. Nous restâmes tous les trois silencieux quelques instants. Puis Uchen poussa un long soupir et tapota gentiment l'épaule d'Aïna en disant :
— Allons, ne t'en fais pas. Tu n'en as rien à faire, de son avis. Tu fais ton enquête correctement, et elle verra bien. Ne bouge pas, je vais te chercher une bière. Je vais nous en chercher trois, ça ne nous fera pas de mal.
Ce n'est qu'en le voyant si gentil que je m'aperçu qu'Aïna semblait au bord des larmes. Je réalisais un peu tard que je ne l'avais franchement pas soutenue sur ce coup-là... Mais j'étais si content d'avoir enfin quelqu'un de mon coté ! Et Bira n'était pas notre chef. Il n'y avait aucune raison de se sentir mal parce si elle n'approuvait pas nos hypothèses.
Sans me regarder, elle sorti un papier de sa poche, son éternel crayon, et se mit à griffonner furieusement des notes. Je devinais, à sa mâchoire serrée et son regard de feu, qu'elle était plus déterminée que jamais à prouver qu'elle avait raison. Je soupirai :
— J'imagine que Bira ne t'a pas convaincue, hein ?
— Absolument pas.
— Elle a un autre regard que nous, et on peut quand même considérer que...
— C'est une espionne et elle raisonne en espionne. Si on enquêtait sur une bombe placée sur le parcours d'Isadora, je l'approuverais sans hésiter. Mais on parle de vol de céréales. Par des gens qui n'avaient probablement aucune idée de leur valeur. A une époque où seul notre or nous a sauvé de la famine - et même si on a échappé à la famine, on n'est pas loin de la disette. On a vendu des céréales pour leur poids en or, Loc. On s'en fiche que les villageois soient loyaux à Kenjara. On s'en fiche que les Libellules soient les meilleures espionnes de la planète. Ce qui compte, c'est qu'on a un mobile, une suspecte, et pas d'alibi. Il faut creuser. Fin de la discussion.
— La piste du than est aussi une piste sérieuse ! Ce n'est pas parce que ça pourrait aussi être un vol par cupidité que ça n'est pas un complot ! Les ennemis de Kenjara existent, et ils n'hésiteraient pas à nous affamer, parce qu'ils savent très bien que c'est notre point faible !
— D'accord, d'accord, cette piste est valable aussi ! Mais s'il te plait, demain, viens avec moi à Cherbier. Ils vont me prendre pour une folle si...
— Mais non, il n'y a pas de raison... Tu fais ton travail et tu le fais consciencieusement. Bien sûr que je viendrais avec toi, c'était le plan depuis le départ. Mais si tu ne trouves rien...
— Si on ne trouve rien, on cherche du coté du than. Je te le promets."
Ces mots me soulagèrent. Je ne me faisais pas totalement confiance par rapport au than, mes préjugés étaient bien trop forts pour que je me fie à mon propre jugement. Mais la certitude était comme gravée dans mon cœur et je me réjouissais de repartir sur cette piste.
Uchen revint avec les bières. Il commençait à être tard et nous terminâmes la soirée ensembles, à discuter de l'enquête, à tenter d'aborder la disparition des dragons tandis qu'Uchen noyait le poisson, et à médire un peu de Bira et de ses méthodes autoritaires. Que sa piste soit bonne ou non, c'était stupide de sa part d'ignorer les éléments que nous lui apportions. Et c'est en voyant le soulagement d'Aïna que je compris à quel point la scène l'avait blessée.
Le lendemain, nous étions prêts à partir dès les premières lueurs de l'aurore, pour ne pas gâcher la moindre minute de jour. Une compagnie d'une dizaine de soldats nous accompagnait, capitaine en tête.
VOUS LISEZ
Kenjara - les enquêtes de Loc Reyis
Mistero / ThrillerBienvenu à Kenjara, le Pays Libre des Dragons. Et des humains, depuis peu, depuis que les caprices géopolitiques de ce monde ont conduit les créatures fabuleuses à accepter les réfugiés de mille pays sur leurs terres pour les défendre contre les Si...