Nous n'aurions pas pu retrouver le chemin de nos chambres même si nos vies en avaient dépendu. Nous finîmes par nous résoudre à demander de l'aide à l'une des servantes-marionnettes que nous croisions à chaque intersection et qui nous guida sans encombre à bon port. Nos chambres étaient séparées et en vis-à-vis, mais nous n'avions aucune envie de nous perdre de vue et nous avons préféré rester dans ma chambre. En même temps, ce n'est pas comme si nous avions de quoi nous changer avec une "tenue de dîner", quoi que Faraäd ait voulu dire par là.
Je m'appliquai malgré tout à rectifier ma coiffure et mon allure, autant par courtoisie que pour le plaisir d'utiliser l'immense miroir de la pièce. À côté, Ijja se moqua de ma frivolité. Facile pour elle, sa tresse n'avait pas bougé d'un cheveu !
Nous suivions une autre servante jusqu'à la salle à manger lorsque tout changea autour de nous. Les grands couloirs de marbre blanc devinrent des jetées de pierres volcaniques, les paysages verdoyants se changèrent en mer miroitant sous les étoiles et la lune d'un ciel d'illusion qui remplaça les plafonds et leurs immenses arches. Les servantes marionnettes se changèrent en sirènes nageant dans l'air, leurs cheveux détachés donnant une impression de flotter parmi les courants. La salle à manger était devenue digne de la salle du trône d'un dieu marin, ornée de coquillages et d'algues ondulant dans les airs, chaque meuble était sculpté dans le bois flotté. Un vent léger et chaud nous apportait l'odeur de la mer et le cri des mouettes.
Une magnifique femme, grande et mince, nous accueillit. Elle était vêtue d'une fine robe d'un bleu profond orné de perles noires. Elle nous tendit les mains et se présenta :
« Je suis ravie de pouvoir enfin vous voir. Je suis Merrohé. Je vous en prie, installez-vous.
— Merrohé le pyromancien ? demandais-je, incrédule.
Dans toutes les légendes et les récits que j'avais pu entendre, il s'agissait d'un homme. Avait-il décidé de changer d'apparence dans cette Tour, ou était-ce une femme qui avait pris une apparence masculine pour partir à la guerre ?
Ce n'était pas vraiment une question que je pouvais poser.
— Merrohé la pyromancienne, corrigea doucement mon interlocutrice.
— Toutes mes excuses. Je suis Loc Reyis, et voici Ijja de Cherbier, nous sommes les enquêteurs de l'Alliance.
— Parfait, nous allons avoir des milliers de choses à nous dire ! Qu'est-ce que Faraäd vous a expliqué, au juste ? J'espère qu'il ne m'a pas coupé l'herbe sous le pied, je voulais vous présenter la Tour moi-même ! C'est notre chef-d'œuvre, vous savez ? Oh, même si vous ne saviez pas, vous avez dû vous en apercevoir. Comment trouvez-vous la décoration ? Désolée, ça semble idiot, mais nous avons si rarement des visiteurs...
— Pas du tout, au contraire c'est un plaisir de pouvoir discuter ! Votre Tour est une véritable merveille, nous avons passé tout ce temps à la visiter avec Faraäd, et il a été plutôt avare en détails. Nous avons des milliers de questions à vous poser ! Quand Faraäd va-t-il nous rejoindre ?
Elle rit, d'un son délicat et délicieusement cristallin :
— Vous ne le verrez jamais en même temps que moi, en tous cas pas à l'intérieur de la Tour. Nous sommes deux mages à partager la même Tour, ce qui est déjà un miracle en soi, mais il y a des limites. Il ne peut être éveillé que lorsque je dors, et inversement.
— Du coup, vous ne vous voyez jamais ? demanda Ijja.
— Uniquement à l'extérieur de la Tour. Nous aimons nous promener dans Assembra, plus ou moins incognito. Pas la peine de passer sa vie à travailler, après tout, la guerre est finie ! À quoi sert la magie si on ne peut pas en profiter ?
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Kenjara - les enquêtes de Loc Reyis
Mystery / ThrillerBienvenu à Kenjara, le Pays Libre des Dragons. Et des humains, depuis peu, depuis que les caprices géopolitiques de ce monde ont conduit les créatures fabuleuses à accepter les réfugiés de mille pays sur leurs terres pour les défendre contre les Si...