Pour la Moisson - 5

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Pour en revenir au petit groupe tentant de franchir le col de la Corne Brisée, ils étaient presque arrivés à la garnison lorsque la tempête s'était déclenchée. Très légère au début, les Libellules avaient été tentées de continuer leur route tout de même car leur but n'était qu'à une heure ou deux de cheval devant eux.

Ils s'étaient cependant rangés à l'avis de leur guide, meilleur connaisseur de la montagne, qui assurait qu'ils se feraient avaler par le blizzard en moins de vingt minutes et feraient mieux de se mettre à l'abri dans un refuge proche qu'il connaissait. La frontière était franchie depuis plusieurs heures et ils ne s'étaient pas méfiés.

Sur place, ils virent que trois personnes étaient déjà installées dans le refuge, trois villageois des environs qu'Aillor connaissait de nom : Guémon, sa fille Ajja, et l'amie de celle-ci Ijja. Ils vivaient à Cherbier et Guémon faisait régulièrement l'aller et retour jusqu'à la garnison de la Corne Brisée et jusqu'à l'auberge-relais de la Corne Rayée, où nous nous trouvions en ce moment. Cela lui permettait de vendre du bois et différents articles des artisans de son village, et d'acheter à son tour ce dont ils avaient besoin.

Sa fille l'avait accompagné principalement pour le plaisir, officiellement de voyager, officieusement de flirter avec un soldat de la garnison sur lequel elle avait jeté son dévolu. Elle avait convaincue son amie Ijja de l'accompagner pour revoir certains de ses anciens camarades, car Ijja avait passé deux ans dans l'armée, et surtout de la couvrir pour que son père ne se rende compte de rien. Un mensonge plutôt innocent qui avait été rapidement dévoilé à l'interrogatoire.

Les trois voyageurs avaient quand à eux été surpris alors qu'ils redescendaient vers leur village et, comme Aillor, Guémon avait jugé plus prudent d'attendre la fin de la tempête pour finir leur trajet. Ils avaient trouvé les lieux vides mais comprenant, comme il est d'usage dans les refuges, une bonne réserve de bois et de vivres. Ils avaient à peine eu le temps de poser leurs sacs et de déharnacher leur âne que le groupe d'Aillor était arrivé.

Tout le monde avait pris soin de ses bêtes et avait installé ses affaires. Danaya et Exrid avaient avoué ne pas avoir fait très attention à ce qu'ils montraient ou non aux autres. Ils n'avaient pas sorti les jarres, à ce sujet ils étaient catégoriques, mais avaient posés par terre les fontes qui les contenaient avec beaucoup de soin, et ensuite seulement avaient sorti leurs vivres, couvertures, etc...

Il n'était donc pas difficile de voir que ce contenu était précieux à leurs yeux, et les deux agents ne pouvaient pas garantir qu'à aucun moyen le rabat de cuir n'avait été soulevé, dévoilant les jarres soigneusement scellés. Ils n'avaient aucune raison sérieuse de les dissimuler, les jarres elles-mêmes n'attiraient pas spécialement l'attention d'éventuels voleurs, car on n'a pas l'habitude de trouver quoi que ce soit de précieux dans ce genre de récipients. Sans oublier qu'enfin arrivées à Kenjara, les deux Libellules étaient beaucoup moins méfiantes qu'à l'ordinaire.

Après quoi, tout le monde était resté entassé les uns sur les autres durant les trois jours qu'avait duré la tempête. Danaya et Exrid n'avaient pas effectué de tour de garde pendant la nuit, mais dormaient appuyés contre les fontes, qu'on n'aurait pas pu toucher sans les réveiller. Le reste du temps, ils avaient toujours les autres voyageurs sous les yeux.

Le petit groupe avait passé le temps de son mieux, en écoutant les chansons de l'Hirondelle, en jouant aux cartes et en échangeant des nouvelles du pays. Les Libellules ne s'étaient pas présentées comme telles, mais comme une marchande revenue d'un voyage prospectif pour la signature d'un contrat et comme son garde du corps, une couverture parfaitement banale à notre époque. Ils ne pensaient pas avoir été percés à jour.

Kenjara - les enquêtes de Loc ReyisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant