La Belle et la Bête

Chapitre 1 : Au commencement

     Ranger les livres n'avait jamais fait partit de mes attributions. Les étiqueter, les classer par ordre alphabétique et par genre, encore moins. J'adorais les livres autant que je détestais la paperasse. Pour autant, je mettais une application presque religieuse à le faire.

La raison ? Un tyran aux yeux de lynx qui me suivait du regard où que j'ailles : Mon employeur.

Je n'avais pas envie de me faire virer, ni de devoir annoncer à mon père que nous allions devoir vivre dans la rue. Alors je m'efforçais de faire mon mieux en vérifiant que tout était en place. D'abord avec le livre d'Erica James, puis avec celui d'Hector Jemesson, suivi de...

     -Maïa !

Je sursautai et rattrapai vivement un livre que j'avais fait tomber sous la surprise. Celui de Naël Jenkins. Un vieil ouvrage poussiéreux qui n'aurait pas supporté de se retrouver par terre. Un peu plus et j'aurai pu dire adieu à mon job. Je pris le temps de le remettre à sa place et essayais de calmer les battements trop irréguliers de mon cœur. La surprise et la peur ne faisaient pas bon cocktail. Vraiment pas.

     -Bon dieu Maïa ! Mais qu'est-ce que tu fais ? J'ai besoin de toi !

J'entendis, plus que je le vis, Phil venir dans ma direction. Ses lourdes bottes claquaient contre le sol alors qu'il maugréait et pestait sur je ne sais quoi à qui voulait bien l'entendre. J'allais en prendre pour mon grade.

     -Ça fait trois fois que je t'appelle. Je peux savoir ce que tu faisais ?

Phil était le gérant de cette librairie. Petit, rondouillard et légèrement dégarni, il était malgré tout d'une gentillesse à toute épreuve. Sauf sur son lieu de travail. Là, il se transformait en un véritable pitbull prêt à mordre dès qu'une tâche n'était pas correctement accomplie.

     -Je vérifiais que les ouvrages étaient bien à leur place, lui répondis-je.

     -Jamais lorsqu'il y a autant de personnes Maïa, je te l'ai déjà dit. Bon sang, mais il t'arrive de m'écouter ?

Je ne répondis rien, consciente que ce serait parfaitement inutile. A part à l'énerver davantage. Ce que je ne souhaitais pour rien au monde.

     -Bon, souffla-t-il. Il y a du monde à la caisse, tu veux bien y aller ?

Je jetai un coup d'œil par-dessus son épaule et avisai le comptoir où une bonne dizaine de personnes attendaient impatiemment. Je n'avais visiblement pas le choix.

     -Oui, bien sûr, lui répondis-je.

     -Parfait. Et redescend sur Terre s'il te plait. Tu pourras rêver autant que tu veux après ça.

Je soupirai mais ne répondis rien.  À quoi cela servirait-il de toute façon ? J'étais souvent dans la lune, ce n'était plus à prouver.

Je finis par obtempérer, traversai rapidement les rayons, plaquai un sourire commercial sur mes lèvres et me plaçai derrière le comptoir.

     -Bonjour monsieur, que puis-je faire pour vous ?

     -Heros, de David Cane. Vous savez où je peux le trouver ?

     -Dans la partie fantastique, troisième rangée.

     -Merci.

Je soufflai doucement et remis une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille. J'aimais cette librairie, réellement. J'adorais lire et on s'y sentait bien. Mais je n'étais clairement pas douée pour le relationnel. Et malheureusement pour moi, Phil ne pouvait pas le faire. Car si je n'étais pas douée pour la chose, mon employeur l'était encore moins.