Chapitre 31 : Une folie passagère ?

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          Je fixai le dos de la femme qui marchait gracieusement devant moi, évitant avec habilité chaque tronc d'arbre et chaque racine qui se trouvait sur son passage.

Parce qu'elle en était bien une de femme, à n'en point douter. Avec ses courbes et sa grâce sans pareille, il ne pouvait en être autrement.

Tandis que moi... Ma grâce égalait celle d'un hippopotame et je n'avais pas de courbes. Pas comme elle en tous cas. Les miennes étaient très légères. On pouvait juste les deviner.

Je grognai pour réprimer à grande peine un sentiment qui me rongeait jusqu'à la moelle. La jalousie.

Je crevais de jalousie pour cette femme à la beauté brute et sans pareille. Elle avait un charme tellement particulier que j'étais certaine que toutes les têtes devaient se tourner vers elle.

Pour ma part, j'étais sans charme distinctif. Mes sœurs me l'avaient assez répété. Je n'étais qu'une pâle copie, un mensonge. Et même si j'avais tout fait pour me différencier de ma mère, je savais que je vivrais toujours dans son ombre.

C'était le propre d'un reflet après tout.

Je soupirai. Je me sentais presque mal d'envier une personne comme cette rousse incendiaire. Mais je n'y pouvais rien.

     -Il y a un problème ? Je t'ai entendu soupirer.

Et en plus elle semblait soucieuse des autres. Bon sang, je n'arriverais jamais à refreiner ma jalousie à ce rythme-là.

     -Non, non aucun, lui répondis-je. Mais où est-ce que tu m'emmènes ?

     -Pourquoi ? Aurais-tu peur, Belle ?

Je me figeai. Tout mon être se tétanisa, trembla à l'annonce de cette voix. Douce, mélodieuse, envoutante. La même qui m'avait poussé vers cette entité démoniaque.

Mes yeux dérivèrent lentement vers elle et je me figeai encore plus d'effroi si c'était possible.

Le visage de cette femme n'avait plus rien à voir avec celui d'une poupée. Le coin extérieur de ses yeux tombait le long de son visage. Son nez se déforma alors que sa bouche s'agrandissait. On ne voyait que ça, sur son visage.

Sa gueule béante d'où sortait des crocs à la lame aiguisée. Un sourire malsain à vous faire frissonner. Et surtout, ses yeux rougeoyants qui me promettaient mille supplices. Mille tortures.

Je voulu reculer mais mon corps entier semblait échapper à mon contrôle. Je restai figer, incapable du moindre mouvement, complétement tétanisée par la peur.

La femme s'avança lentement vers moi. Tellement lentement que s'en était un supplice. Son corps semblait comme survoler la terre. Mon sang se glaçait un peu plus à chaque centimètre qui la rapprochait de moi. J'avais froid, terriblement froid.

Je ne pouvais pas cligner des yeux. Je ne pouvais que la regarder avancer sans ne rien pouvoir faire. Sa main désormais entièrement noire se levait petit à petit vers moi, me laissant apercevoir de longues griffes acérées.

Griffes qui se posèrent sur mon front dès qu'elle fut à quelques centimètres à peine de mon corps. Son souffle putride s'écrasa sur mon visage et je ne pouvais faire autrement que de l'inhaler. Ma tête se mit à tourner, mes jambes à flageoler. Mon corps était tellement glacé que je brûlais de l'intérieur.

Son doigt appuya plus fortement sur mon front et je sentis un liquide chaud couler le long de mon nez, de mon menton, de ma gorge. Mon sang.

L'odeur métallique se mêla à l'odeur de soufre qu'elle dégageait et je retins de justesse un haut le cœur.

Son doigt glissa, continua sa course le long de mon front, griffa ma tempe droite, déchira ma joue, s'enfonça dans ma gorge et s'arrêta et hauteur de mon médaillon.

Ma peau me piquait, me brûlait comme si un poison d'infiltrait dans chacune de mes coupures.

Je voulais crier, hurler ma douleur mais pas un mot ne franchit mes lèvres. Mon souffle était de plus en plus erratique, ma trachée me brûlait, mes poumons criaient au supplice mais je demeurais immobile.

     -Ne te souviens-tu pas de moi ?

Je ne répondis pas. J'en étais incapable. Ses mots me semblèrent tellement lointain que je peinais à comprendre ce qu'elle me disait.

     -Toutes ses années pour rien... Quel gâchis. Tu ne me facilites pas la tâche, Belle.

Ma tête ne cessait pas de tourner. Mon champ de vision commença à se rétrécir, des étoiles noires commencèrent à danser devant mes yeux.

     -On va devoir remédier à ça.

Son bras recula, comme pour prendre de l'élan. Je ne savais pas ce qu'elle voulait faire. Et je ne voulais pas le savoir. Je voulais juste que ça s'arrête. Que je n'ai plus mal.

Et au moment où elle s'apprêtait à frapper mon médaillon...

Maïa !

Mon monde vacilla, tourna. Plus rien n'avait de sens. L'entité disparue presqu'immédiatement sous mes yeux et le monde reprit de ses couleurs.

Devant moi se trouvait cette rousse incendiaire que j'admirai, à quelques mètres de là. Elle n'avait pas bougé, me regardant seulement avec inquiétude.

-Tu vas bien ma belle ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Ma belle. Mon cœur battait fort dans ma poitrine, mon sang pulsait puissamment au niveau de mes tempes. Je regardai frénétiquement autour de moi mais il n'y avait rien. Rien d'autre que la forêt et que cette femme qui me regardait avec un mélange d'incompréhension et d'inquiétude. Je ne comprenais pas. J'avais vécu les pires minutes de ma vie mais il n'en restait rien. Comme si tout ceci n'avait jamais existé.

Complètement affolée, je me mis à courir comme une dératée en direction du manoir. Je me pris les pieds dans de nombreuses branches et racines mais me relevai à chaque fois, la peur guidant mes pas.

-Maïa attend !

Non. Je ne pouvais pas. Je ne voulais pas. Incapable de m'arrêter, je me contentai de continuer à courir comme si ma vie en dépendait.

Je bousculai sans ménagement Antonio et Alfred sans même m'en rendre compte. Plus rien n'avait d'importance.

Mes pieds me guidèrent jusqu'à ma chambre que je fermai à clé si tôt rentré. Je fermai les volets, verrouillai ma fenêtre et me cachai derrière mon lit.

Dos contre le mur, mes mains entourant solidement mes jambes que j'avais ramenées à ma poitrine, je me balançai lentement d'avant en arrière.

Du sang tomba à mes pieds et je me mis à hurler avant de me balancer plus fortement d'avant en arrière. Mes mains étaient pleines de sang. Mon visage aussi. Je le sentais couler. Mais ce n'était pas réel. Je n'en avais pas tout à l'heure. Quand je courrais, je n'en avais pas.

Ce n'était pas réel. Tout n'avait été qu'un mensonge. Une illusion.

Je clignai des paupières. Le sang parterres avait disparu. Celui sur mes mains aussi.

Un mensonge. Une illusion.

Rien d'autre.

La Belle et la BêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant