Le Démon (L'Hybride, livre 1)

Chapitre 8.1 : Infaillibles Soutiens

Au petit matin, Chloé n'avait pas fermé l'œil, dévastée.

Non seulement elle avait perdu un homme qui comptait pour elle, mais elle avait été un monstre. Sous l'emprise de Darmack, elle avait tué. Pas une, ni deux, mais de nombreuses personnes. Le jour du carnage, ce sinistre jour dont tout le pays se rappelait pour sa brutalité gratuite, pour son lot de familles brisées, de vies arrachées... tout cela était son œuvre. La folle qui avait tué au hasard, c'était elle.

Depuis la révélation, son état passait du désespoir à la colère, enchaînait avec l'anéantissement le plus total, poursuivait avec l'angoisse. Elle s'était fait prendre au piège dans une spirale sans fin. Seul le dégoût restait omniprésent.

Le coup l'avait achevée. Recroquevillée sur son matelas, elle jetait au pendentif des regards accusateurs. Cette petite pierre bleue, qui l'avait habituée à de plus agréables souvenirs, s'était bien jouée d'elle en lui jetant à la figure l'horrible vérité, nue, sans fard : Chloé était une meurtrière.

Quelque part en elle, une petite voix contrebalançait ces pensées, lui rappelait que Darmack l'y avait contrainte par ses pouvoirs... mais cette petite voix ne faisait pas le poids contre ses remords. Dans son état, elle était prête à se rendre à la police et à tout avouer pour au moins se décharger d'une partie de sa culpabilité... mais cela ne résoudrait rien. Darmack vivait toujours, et savait désormais qu'elle n'était pas morte ce jour-là. Une scène de ce type pouvait se reproduire.

Enfin, elle comprenait les bouffées d'angoisse qui lui nouaient l'estomac chaque fois qu'elle tentait de se rappeler son passé : l'amnésie lui avait permis de ne plus avoir à l'affronter... et elle se serait bien passée de mettre au clair cet épisode de sa vie.

Après tous les aperçus de leur vie de couple, ses sentiments à l'égard de Nicolas s'étaient ravivés, aussi intenses que lors de leur relation. Comme un mauvais tour du destin, ses souvenirs de lui foisonnaient, parfaitement clairs : le contour de son visage, l'intonation de sa voix, le regard qu'il posait sur elle, ses mains qui l'effleuraient, son parfum, son attitude rassurante, confiante... Il était un roc inébranlable auquel elle s'était accrochée de toutes ses forces. Elle avait été la seule à pouvoir l'atteindre, à pouvoir briser la carapace qu'il s'était forgée avec le temps. Malheureusement, Darmack l'avait rapidement compris et il s'était servi d'elle pour le tuer.

Cette simple idée la répugnait.

« Tu ignorais comment te défendre contre lui. »

Elle sauta de son lit, se retourna, chercha du regard d'où provenait cette voix. Son appartement n'abritait personne d'autre... et la voix semblait provenir... d'elle-même !

« Le Démon assujettit la volonté de l'hôte qu'il s'accapare, et malgré ta force, tu ne pouvais pas lui résister. Personne ne le peut. »

Soulagée, elle inspira profondément. Les paroles de l'Ancien résonnaient en elle comme en écho.

  * * *  

L'entends-tu ? coupa-t-il brusquement.

Qui donc ? Darmack ?

L'Ange.

* * *

« Es-tu... l'Ange ? demanda-t-elle.

— Oui. »

Ahurie, elle se laissa retomber sur le lit. L'Ancien ne lui avait pas menti. Elle connaissait cette douce intonation, et la force rassurante qu'elle ressentait toujours au moment de ses manifestations. Elle l'avait entendue des centaines de fois, croyant parfois à un mauvais tour de son esprit, réprimant la simple idée qu'elle pût entendre des voix. Ainsi donc, elle avait maintenu à l'écart de sa vie la conscience même de ses pouvoirs... ?