Le Démon (L'Hybride, livre 1)

Chapitre 10.3 : Face à Face

— Jérôme... qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— Je... hum hum ! Je ne sais pas... je... j'étais en train de faire mon sketch, comme d'habitude et j'ai senti... j'ai senti comme... j'avais l'impression qu'on m'étranglait ! balbutia-t-il d'une voix éraillée. Pendant un moment j'ai cru que je m'étouffais avec ma salive, mais, non... c'était différent... je sentais des mains...

Il se remit à tousser. Elle apposa une main sur son cou et soigna tout ce qui pouvait l'être.

— Ça devrait aller mieux.

Elle se leva, mais il rattrapa son poignet.

— Chloé ?

— Quoi ?

— Ça n'a pas l'air... de t'étonner.

Devant son mutisme et son regard fuyant, il insista :

— Je viens quand même de te dire que je venais de me faire étrangler par des mains invisibles !

Parfaitement rétabli, il se redressa d'un bond et s'assit face à elle, toute vigueur retrouvée.

— Chloé ! Tu réalises ce que je t'ai... tu... tu sais ce qui s'est passé.

— Je dois y aller.

Il la laissa s'éloigner, les yeux hagards. Elle ferma la porte derrière elle et s'y adossa.

Cet infâme sorcier avait décidé de s'en prendre non pas à elle, mais aux gens qui l'entouraient... il la connaissait bien. Trop bien pour qu'elle parvînt à trouver son point faible.

Ce combat était perdu d'avance, elle le savait à présent.

* * *

— Jérôme ?

Il entra chez elle sans attendre qu'elle l'y invitât.

— Il faut que tu m'expliques, Chloé. Je ne comprends plus. Qu'est-ce qui s'est passé ? Je ne suis pas fou, quelqu'un a essayé de me tuer, hier ! Mais... mais il n'y avait personne !

Elle aurait dû s'attendre à sa visite, aurait dû deviner qu'il profiterait de la première occasion pour lui demander plus de détails. Inquiétée par cette attaque qui n'avait servi qu'à ébranler sa confiance en elle, elle s'interrogeait davantage sur le moyen de protéger son entourage que sur des réponses à donner aux témoins.

— Tu sais ce qui se passe. Réponds-moi. Tu as des ennuis ? Tu as disparu six jours, personne ne sait où, et depuis que tu es revenue tu sembles soucieuse. Explique-moi. Je veux savoir ce qui a pu... ce qui a failli me tuer, bon sang !

— Jérôme. Je ne peux pas te donner ces réponses.

— Tu n'as pas l'air de comprendre que... je ne sais plus, je...

Il était terrorisé. Il ne savait pas comment l'exprimer, mais Chloé le sentait. Il ne comprenait pas ce qui lui était arrivé et avait peur de devoir y faire face à nouveau. Il voulait au moins comprendre, et après la frustration qu'elle avait vécue face à Théosys, elle compatissait.

— S'il te plaît. Explique-moi.

— Assieds-toi.

Il fronça les sourcils, puis partit s'asseoir. Elle s'installa à côté de lui, sans vraiment savoir par où commencer.

— Calme-toi un peu.

— Que s'est-il passé ?

— Quelqu'un a effectivement tenté de te tuer.

— Mais pourquoi ? Et... comment ?

— Tu n'étais pas la cible. C'était moi. Il s'en est pris à toi pour me faire souffrir.

— Pourquoi quelqu'un t'en voudrait au point de tuer...

— Je ne peux pas t'expliquer.

— Comment a-t-il fait ça ?

Elle préféra baisser la tête. Elle ne souhaitait pas lui mentir, mais rechignait à lui révéler la véritable raison.

— Chloé, s'il te plaît...

Elle releva les yeux et aperçut le regard glacé de Jérôme. Ses yeux gris clair étaient aussi froids et durs que de l'acier. Il était venu pour obtenir une réponse, et entendait bien l'avoir en ressortant. C'était une de ses facettes, en totale contradiction avec ce qu'il semblait être. Parfois, Jérôme l'effrayait d'un simple regard.

—Tu me prendras pour une folle si je t'explique tout.

— Si tu sais comment il a pu faire...

Elle hésita, puis comprit qu'il ne partirait pas à moins d'avoir sa réponse. Ou qu'elle utilisât ses pouvoirs.

Encore ses pouvoirs...

— De la magie, Jérôme.

— De la... quoi ? s'exclama-t-il, incrédule.

— Je suis une sorcière.

— Quoi... Toi ? Une sorcière ?

— Oui.

Il regarda Chloé avec consternation. Sa réaction était prévisible.

— Et où est ton balai ? demanda-t-il, amusé et agacé à la fois.

— Jérôme, je ne plaisante pas ! Celui qui a voulu te tuer tout à l'heure l'a fait à cause de moi. Comment penses-tu qu'il s'y soit pris ?

— Je...

— Tu voulais une réponse, tu l'as.

— Enfin Chloé ! Une sorcière ! Tu n'as pas trouvé autre chose ?

— Il y avait des dizaines de personnes dans la salle, elle était comble. Des dizaines de témoins t'affirmeront que tu étais seul sur scène.

Il plissa les yeux.

— Mais moi, je l'ai vu. Je sais ce qu'il veut. Tu voulais savoir ce qui me préoccupait ? À présent tu sais. Je n'aurais sans doute pas dû te le dire, et peut-être devrais-je même te l'effacer de la mémoire pour te tranquilliser... ?

— Que... Quoi ? Non ! s'insurgea-t-il.

Il se calma, puis secoua la tête.

— Non. Tu veux dire... ce n'est pas une blague tout ça ?

— J'aimerais que c'en soit une... Mais tu es mieux placé que quiconque pour comprendre que ça ne doit pas être traité à la légère.

Après un moment de silence, elle ajouta :

— Pardonne-moi. Mon intention n'était pas de faire de toi une cible. Je suis navrée qu'il s'en soit pris à toi.

Il porta les mains à son cou, puis se leva, radouci.

— Je me doute que tu ne l'as pas fait exprès.

— Je préfèrerais qu'il s'en prenne à moi, tu sais. Au moins, je serais en mesure de riposter ! Mais il le sait. Il est... définitivement plus fort que moi.

Lasse, elle se laissa aller dans le fond du canapé. Darmack avait une longueur d'avance sur elle : il la connaissait. Il savait comment agir pour la détruire à petit feu. Et elle ne parvenait pas à anticiper ses mouvements. L'idée qu'il s'en prît à Éric, Boris ou Christine la terrorisa.

Après un moment de silence, Jérôme se pencha sur elle.

— Tu n'es pas responsable des actes de ce fou furieux.

— Ce...

Il se releva brusquement et tira sur sa main.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Oublions un peu ça, d'accord ? Je t'invite à déjeuner.

À cette phrase, son estomac émit un gargouillis éloquent. Jérôme l'interpréta comme un accord et bon gré mal gré, l'entraîna dehors, lui laissant à peine le temps de prendre son sac et son manteau.