Le Démon (L'Hybride, livre 1)

Chapitre 23.1 : L'Esprit de la Vengeance

Le temps s'écoulait-il ?

Elle commençait à en douter.

Chloé manquait d'eau, de nourriture, de lumière, de sommeil. Parfois, elle se demandait si elle était toujours en vie et non en proie à un horrible cauchemar ou à une hallucination... à moins que le manque d'eau n'en fût à l'origine...

Enfermée dans une cage suspendue à quelques centimètres du sol, Chloé s'était d'abord agitée, balancée à l'intérieur dans l'espoir d'affaiblir sa structure et se libérer. Agonir Darmack d'injures, elle l'avait fait. Puis les cris de Jérôme avaient couvert les siens, et son cœur, petit à petit, s'était déchiré.

Le maître venait toujours assister aux séances de torture avec une escorte composée de ses plus fidèles disciples... dont Jorda faisait partie. La même troupe encourageait les actes de barbarie perpétrés sur Jérôme, puis repartait quand il apparaissait que son corps ne tiendrait pas une abomination supplémentaire. Le son de leurs voix, leurs ricanements et leurs menaces disparaissaient alors derrière la porte, s'évanouissaient au cœur de la Maison.

Ensuite, venaient l'obscurité et l'angoissant silence. Les cris se muaient en gémissements. La salle se peuplait d'ombres et de dénivelés de gris. Des effluves métalliques de sang et ceux, écœurants, de chair brûlée emplissaient ses narines. Bien souvent, c'était à ce moment qu'elle fondait en larmes, secouée de tremblements.

Darmack avait pensé à tout. Afin que Chloé ne demeurât pas dans le noir total, il laissait toujours une ampoule nue, à l'intensité faiblarde, allumée. Judicieusement placée à proximité de Jérôme, elle permettait à sa proie de pouvoir, à chaque instant, apprécier les fruits de leur labeur.

Parfois, ils le laissaient attaché, en lambeaux, sur sa croix. À d'autres temps, ils lui accordaient le privilège de reposer à même la moquette bordeaux, qui dissimulait avec brio les nombreuses traces de sang. À l'occasion, ils l'emmenaient dans une autre pièce pendant quelques minutes, sans doute pour lui permettre de reprendre un peu de forces avant d'être de nouveau tailladé.

Et tout avait recommencé, encore et encore...

Affaissée au fond de sa cage, Chloé grogna dans la semi-obscurité. Elle s'était imaginé des tonnes d'issues. Elle avait même imaginé sa place sur la croix... mais elle avait sous-estimé la perfidie de son ennemi. Darmack l'avait côtoyée pendant plus de deux ans ; il avait eu l'occasion de sonder son cœur, son esprit... il savait ce qui la ferait souffrir.

Un élan de colère l'anima et elle s'agita. Les cordes rêches qui ligotaient ses poignets écorchèrent un peu plus sa peau déjà à vif. Comme à ses précédentes tentatives, les liens ne se desserrèrent pas.

Elle savait ce qui se passerait.

Les gémissements de Jérôme se poursuivraient puis s'estomperaient et la fatigue la pousserait à somnoler. Puis ils reviendraient, tous, pour poursuivre leur œuvre. Ils agiteraient sa cage pour s'assurer qu'elle n'en manquât pas une miette. Si elle gâchait leur spectacle de ses cris et de ses injures, ils lui assèneraient une petite décharge électrique. Prise au piège dans cette cage de métal, Chloé serait saisie par le courant et son cœur tambourinerait sous la violence du choc. Juste assez pour l'essouffler et la faire taire – au moins temporairement.

Puis tout recommencerait.

Encore.

À combien de roulements avait-elle assisté ? Le manque d'eau et de lumière jouait des tours à son esprit. La folie la gagnait. Une folie furieuse qui, dès qu'elle y pensait se muait en haine féroce envers Darmack. Ses sentiments de plus en plus violents l'effrayaient, mais lui donnaient aussi la force de tenir.