Chapitre 5.2 : l'Héritage

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La pierre glissa de sa main entrouverte et tomba sur le tapis. Elle tourna rapidement la tête ; à côté d'elle ne se trouvait que la table basse du salon. Aucune trace de Nicolas, tout ce qu'elle avait vu s'était produit des années plus tôt. Le reverrait-elle un jour ? Son cœur battait encore la chamade. Elle maudissait ses pouvoirs : leur apparente puissance ne suffisait pas à surmonter le blocage. Son amnésie persistait.

Elle se leva, fredonnant la chanson sur laquelle elle avait dansé avec lui, puis rejoignit la fenêtre. Elle resta un moment face au soleil, ravie d'absorber un peu de sa chaleur, déçue de ne la sentir que sur sa peau et non à l'intérieur. Elle avait perdu Nicolas depuis trop longtemps et s'interrogeait sérieusement sur ses chances de le retrouver. Un prénom, un visage ne suffiraient pas. Si au moins elle avait su son nom de famille... Il en allait de même pour tous ces camarades qu'elle avait vus grâce au pendentif. Audrey apparaissait pour la première fois. Une amie. Elle n'en savait pas plus à son sujet qu'à propos de Nicolas. Toutes les pistes qu'elle trouvait ne pouvaient être que difficilement remontées.

Le lendemain, impatiente, elle se rendit à son rendez-vous chez le notaire. Georges avait tout réglé jusque dans les moindres détails pour qu'il n'y eût aucun problème d'héritage à sa mort. Divers objets, bijoux et sommes d'argent ainsi que sa maison et sa voiture furent partagés entre sa femme, sa fille et son frère, et alors que tous dévisageaient Chloé, l'intruse, le notaire annonça que Georges lui avait légué les commandes du bar.

Il leur fallut un moment, à tous, pour se remettre du choc. Aucun d'entre eux n'ignorait l'importance que le bar revêtait aux yeux de Georges ; il était son bien le plus précieux, celui auquel il avait accordé toute son attention, tout son temps et la majeure partie de son argent. Aussi, l'interrogation dans les yeux de son ex-femme et de son frère fut des plus légitimes. Pour quelle raison Georges l'avait-il jugée plus apte qu'eux à gérer l'établissement, elle, une gamine d'une vingtaine d'années ?

— Pardon ? coupa Chloé. Il me lègue le bar ? À moi ?

Elle observa les autres personnes présentes, qui lui rendirent son regard ahuri.

— Mais il est fou ? ajouta-t-elle avant de pouvoir s'en empêcher.

Corinne, son ex-femme pouffa de rire et secoua mollement la tête.

— Il l'était, mademoiselle. Ça, tenez-le pour sûr.

Il n'y avait aucune animosité dans sa voix, simplement beaucoup de tendresse et de regret, aussi.

Prise d'un incontrôlable élan de colère et de tristesse mêlées, Chloé eut tout juste le temps de réprimer ses pouvoirs. Sans le vouloir, elle ressentait parfois les sentiments les plus forts des gens qui l'entouraient. Son mental, fragilisé depuis la mort de Georges, l'y rendait particulièrement influençable. Parfois, ses pouvoirs lui semblaient si puissants qu'elle-même en perdait le contrôle. Une chose était sûre : de violentes émotions ne l'aidaient pas à les maîtriser.

— Je me demande...

Son ex-femme ne put formuler la question jusqu'au bout, mais quand leurs regards se croisèrent, Chloé en devina aisément la fin. Elle se demandait qui avait bien pu en vouloir à Georges au point de le tuer. Chloé y songeait aussi, trop souvent à son goût. Son crime ne pouvait pas rester impuni.

— Je suis contente qu'il ne nous ait pas légué le bar, ajouta-t-elle.

Chloé devina que l'établissement chéri de son ancien patron avait dû faire partie de leurs problèmes de couple. Corinne se mit à rire, toujours triste néanmoins.

— Je n'aurais pas compris...

Chloé ne chercha pas à approfondir. Le notaire interrompit ce bref échange pour tendre à chacun d'eux une enveloppe cachetée, écrite de la main de Georges. Dernier vestige de l'homme qui l'avait prise sous son aile, elle la serra contre elle comme un trésor. À travers le papier, elle sentait un objet plus lourd et dur que des feuilles.

Le Démon (L'Hybride, livre 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant