À son réveil, Chloé fut prise d'une violente migraine. Elle porta la main à sa tête et ouvrit les yeux. Au-dessus d'elle, Boris secouait son épaule, inquiet.
— Chloé ?
Les muscles courbaturés comme après une séance intensive de sport, elle se redressa sur son séant, une grimace sur le visage.
— Boris ?
— Qu'est-ce que tu fiches ici ? demanda-t-il en s'accroupissant auprès d'elle.
— Eh bien... j'ai dû m'évanouir.
Hébétée, elle regardait le videur, sur le visage duquel elle devinait sans peine sa réprobation. S'il était là, c'est que le bar était ouvert... et qu'elle avait déjà passé plusieurs heures allongée sur le plancher. Son dos en attestait.
— Je sais que tu as été voir un médecin après ta disparition, mais ça vaudrait peut-être le coup d'en voir un autre...
Il l'aidait à se remettre sur ses jambes quand elle réalisa que sa mémoire lui était revenue.
Ces dernières années, Georges, le bar, Éric et Christine, le restaurant, Darmack et Jorda aussi, sans oublier ses pouvoirs et la façon dont elle pouvait les utiliser, le Temple... l'Ancien... Tout était clair dans son esprit. Les blocages s'étaient envolés.
Estomaquée, elle n'aida pas le videur qui tentait de la faire tenir debout. Car au-delà de tout cela, ses souvenirs remontaient enfin à plus de trois ans ! Elle se remémora sans peine son enfance et son adolescence, tout ce qui lui échappait depuis si longtemps...
* * *
Ses premiers souvenirs remontaient à un orphelinat dans lequel elle avait grandi, situé en périphérie de Clarme. Sous les ordres d'une intendante peu commode, elle ne s'y était fait que peu d'amis et avait toujours profité de la moindre opportunité pour fuir les hauts murs gris et ternes de l'établissement. Combien de fois avait-elle délibérément manqué les cours pour s'aventurer dans Clarme et y découvrir ses merveilleux comme ses plus sombres côtés ? L'intendante l'avait toujours réprimandée de ses agissements, avait tenté de l'empêcher de sortir comme elle le voulait... toutefois, la jeune fille se montrait toujours plus maligne. Elle aimait, lors de ses sorties imprévues, découvrir une famille qui se promenait ou des enfants qui jouaient dans le parc ; elle enviait les adolescents qui flânaient sur les abords du fleuve ou, à un certain âge, les couples qui s'enlaçaient amoureusement. Elle demeurait seule, et c'était bien là son principal souvenir.
La solitude.
Ses premières années restaient floues, des sensations plus que des images, et ces quelques scènes dont elle s'était rappelée dans ses rêves, celles où son frère apparaissait. Puis sans qu'elle se rappelât comment ou pourquoi, elle avait intégré l'orphelinat. Ses véritables parents, son origine demeuraient un mystère, sans doute en raison du jeune âge auquel elle les avait perdus.
À son arrivée dans l'établissement, elle avait refusé de parler, de communiquer avec les autres, et s'était bornée au refus total de créer de nouveaux liens. La solitude, oui, elle se la rappelait parfaitement, pour l'avoir elle-même entretenue.
Très vite mise à l'écart par les autres enfants pour son caractère sauvage, elle n'avait pas non plus cherché leur compagnie. Elle se sentait trahie et abandonnée. Des années plus tard, elle éprouvait toujours ce ressentiment envers sa famille, celle qui l'avait laissée pour compte. S'isoler des autres lui assurait de ne plus jamais revivre de tels événements. Sans attachement, pas de trahison possible.
Puis il y avait eu Audrey.
Chloé n'avait jamais cherché à se lier d'amitié avec la jeune fille, mais Audrey l'avait un jour surprise à faire le mur et ainsi trouvé par quelle issue elle quittait les lieux sans jamais se faire surprendre. De peur d'être dénoncée, Chloé s'était finalement laissée dompter. Petit à petit, des liens s'étaient tissés entre les deux adolescentes aux caractères radicalement opposés.
VOUS LISEZ
Le Démon (L'Hybride, livre 1)
Fantasy~ HISTOIRE TERMINÉE ~ Dans une France alternative, aux alentours de l'an 2000. Le P'tit Clarme, un vieux bar aux relents d'Amérique des années 50. Chloé y chante presque tous les soirs, pour un public désenchanté qui ne remarque presque plus sa prés...