Le Démon (L'Hybride, livre 1)

Chapitre 2.4 : la Serveuse

De retour chez elle, l'après-midi touchait à sa fin. Assise sur son canapé, elle observait la pierre aux reflets bleus qui pendait au bout de sa chaîne en argent. Cet objet lui était précieux, important. La jalousie avec laquelle elle l'avait récupéré de la main de Christine, quelques heures plus tôt, l'intriguait. Elle n'avait jamais été matérialiste, alors qu'avait-il de particulier ?

Depuis une heure, elle le contemplait, concentrait ses pensées sur lui, mais rien n'y faisait. À part piquer du nez, elle n'aboutissait à rien. Elle avait bien tenté tous les sorts qui lui passaient par la tête, testé ses pouvoirs afin de lui éclaircir la mémoire, sans succès.

Elle essayait, pourtant !

Depuis trois ans, elle essayait de réveiller ses souvenirs mais jusqu'à présent, elle n'avait obtenu aucun résultat satisfaisant. Seulement plus de cauchemars... La provenance de ce mystérieux bijou, la raison de son amnésie, sa propre identité... autant de réponses qui lui échappaient. Ses pouvoirs rechignaient tout bonnement à agir sur elle et à lever le voile sur la Chloé d'avant. Les crises de panique qui se produisaient remettaient toujours la révélation à plus tard.

— Mais quand, plus tard ? maugréa-t-elle.

Comment s'était-elle fait toutes ces blessures ? Comment y avait-elle survécu ? Que s'était-il donc passé ? D'où tenait-elle ses pouvoirs ? Les possédait-elle à sa naissance ? Pourquoi ces deux prénoms ? Ses pouvoirs lui paraissaient plus inutiles que jamais, incapables de résoudre ce problème qui en débloquerait tant d'autres.

Dans un grognement, elle serra le pendentif dans son poing, prête à le jeter contre le mur... mais s'en trouva incapable. La tension dans ses muscles retomba en même temps que sa main.

Pourquoi ?

Sur la table basse devant elle, le journal qu'elle avait acheté en rentrant – et abandonné là – attendait toujours d'être ouvert.

« L'inconnu de plus en plus populaire. »

Elle oublia la pierre et lui préféra le fin papier sorti des presses. L'article relatait l'événement dont on n'arrêtait pas de parler depuis quelques semaines : la présentation d'un inconnu aux élections présidentielles. Un individu d'autant plus étrange que son programme amassait un nombre croissant de partisans. Contrairement à ce qu'elle avait d'abord pensé, les gens ne trouvaient pas douteux d'ignorer son identité. Son programme plaisait et le nombre de ses sympathisants augmentait toujours.

Depuis quelques jours, les médias parlaient de lui comme d'un véritable concurrent et lui attribuaient de réelles chances de gagner. Rien dans l'article n'en apportait davantage à son sujet. Même s'il s'agissait avant tout d'un coup de pub, elle n'appréciait pas sa manière de procéder. Selon cet homme – s'il s'agissait bien d'un homme – l'image que renvoyait un candidat influençait l'avis et il se refusait à détourner l'attention de son programme en l'orientant sur son image.

Pure provocation ? Moyen de se démarquer des autres ? Réelle envie de préserver son intimité ?... Il y avait bien trop de questions à son sujet et son programme semblait trop clair pour être honnête. Elle en venait presque à penser que les différentes tromperies mises au point par les candidats habituels lui manquaient. Celui-là semblait bien lisse. Bien trop lisse.

L'article terminé, son attention se reporta sur la pierre translucide. Dans un soupir, elle la rangea dans sa boîte à bijoux. La torture suffisait pour aujourd'hui.

— Si Georges te voit, tu vas avoir du souci à te faire, dit Éric.

Chloé s'installa sur un tabouret et salua ses voisins alcoolisés.