Le Démon (L'Hybride, livre 1)

Chapitre 1.2 : La Chanteuse

— Bien chanté ? lui demanda Éric.

— À toi de me le dire.

Il lui accorda un sourire.

— Là-dessus, je suis d'accord avec les goûts de Georges. Et tu chantes très bien.

Il adressa à la pièce un regard attristé.

— Tu mérites mieux que ça.

Elle pouffa de rire.

— C'est gentil... mais ça me convient.

Bien sûr, elle avait rêvé de gloire à ses débuts... mais désormais, son anonymat lui convenait. À bien y réfléchir, devenir une personnalité connue, une star peut-être, lui aurait attiré bien des ennuis supplémentaires ; la confidentialité du bar lui suffisait, et elle pouvait assumer sa passion sans subir les contraintes de la notoriété.

— Dommage, répondit le barman.

Rêveuse, elle songea à l'homme en costume. Depuis qu'elle l'avait aperçu, Chloé ne pouvait le chasser de ses pensées. Son parfum, déjà, s'évanouissait, dissipé par l'oppressante fumée qui emplissait la salle. Qui était-il, et que venait-il faire ici ?

— Qui était-ce ?

Éric releva le coin des lèvres. Il passa un coup de torchon sur le comptoir et y déposa le verre de thé glacé qu'elle lui demandait chaque soir.

— Je me demande bien de qui tu veux parler.

— Tu le sais très bien, dit-elle en s'emparant de sa boisson.

Éric lui adressa un sourire amusé, puis se remit à essuyer un verre déjà sec. Il lui avait avoué, quelques jours plus tôt, que son véritable métier était journaliste et qu'il était employé ici temporairement, pour les besoins de son enquête. Malgré les efforts de Chloé pour lui extirper plus d'informations, il ne s'était pas étendu sur le sujet. Ce soir, pourtant, son excitation transparaissait. Avec son costume parfaitement taillé et sa maladresse, l'homme se démarquait trop des visiteurs habituels du bar pour ne pas attirer son attention. Si Chloé l'avait remarqué, Éric n'avait pas pu passer à côté : le nouveau client ne fréquentait pas ce genre d'endroit d'ordinaire. Un fait qui, cumulé à l'étrange éclat des yeux sombres de son collègue, effaçait tous ses doutes. Pareil à un loup à l'affût de sa proie, il guettait l'entrée du couloir. De là à songer qu'il était la raison pour laquelle Éric s'était fait engager au bar, il n'y avait qu'un pas.

— Tu le connais, dit Éric.

— Je me rappellerais de lui, répondit-elle aussitôt en secouant la tête. C'est la première fois qu'il met les pieds ici. Du moins, en ma présence.

— Tu le connais, c'est certain, répéta-t-il.

Hésitant, il jeta un regard en biais aux trois ivrognes. Les trois hommes, dont il ne comptait plus les verres, semblaient se moquer de leur conversation. Quand bien même ils l'entendraient, il y avait fort à parier qu'ils ne s'en rappelleraient plus le lendemain. Malgré tout, il se pencha vers Chloé.

— Marc Ridge, murmura-t-il.

Elle écarquilla les yeux.

— Tu plaisantes ?

Il secoua la tête, fier de son effet.

Célèbre dans le monde entier, bien que son visage fît rarement la une des magazines, Marc Ridge était un homme d'affaires influent et sa fortune dépassait de loin tout ce qu'elle gagnerait jamais dans sa vie. Issu d'un milieu aisé, il se trouvait à la tête du grand groupe Ridge Corporation, plus communément appelé la Ridge, composé d'une chaîne de casinos et d'hôtels de luxe. Chaque capitale, chaque grande ville possédait le sien, et l'argent y coulait à flots. Les raisons de sa venue n'en parurent que plus obscures à Chloé.