Le Démon (L'Hybride, livre 1)

Chapitre 24.1 : Duel

Les couloirs, les salles, n'abritèrent pas beaucoup de sbires de Darmack. Chloé se débarrassa d'eux de manière rapide et efficace, à la plus grande stupeur d'Éric. Arme au poing, il paraissait plus tendu que la corde d'un arc.

Depuis que la porte s'était refermée sur eux, Chloé éprouvait un grand malaise. Elle se rappelait les années qu'elle avait passées dans cet endroit... elle se rappelait Nicolas. À l'époque, Darmack envisageait de faire d'elle son successeur, et la formait à devenir le Démon. Jalousée pour le statut que le Maître lui réservait, Nicolas la protégeait des attaques sournoises des plus véhéments. Outre ces moments où Nicolas avait su atteindre son cœur et gagner sa confiance, le reste se composait pour l'essentiel d'entraînements acharnés, de violence, et d'une bonne dose de perversité. Vivre parmi ces individus, sous la direction de Darmack, avait jeté une ombre sur sa vie insouciante.

Elle avançait donc, de couloir en pièce, puis de pièce en couloir, retrouvant devant ces murs délabrés à la peinture caillée un environnement qui lui était familier et abritait de nombreux souvenirs.

D'une main, elle tourna la poignée et entrouvrit la porte avec prudence. Des gémissements étouffés lui parvinrent.

Jorda, ficelée comme un paquet, gisait sur le sol. En la voyant, Chloé s'assura qu'un autre n'attendait pas de lui sauter dessus. Une fois assurée que la pièce n'abritait personne d'autre, elle sortit le couteau subtilisé à l'un de ses assaillants et dénoua ses liens. Derrière elle Éric suivait, les yeux hagards. Lui qui estimait connaître son ancienne collègue avait dû revoir son jugement. Plus les minutes passaient, plus il lui découvrait de nouvelles facettes.

Chloé ne savait pas encore que songer d'elle-même. Devait-elle se féliciter ou au contraire se dégoûter ? Pour l'instant, ces questions ne l'effleuraient qu'à peine. La réflexion n'était pas toujours amie de l'action ; si elle y réfléchissait trop, une fois face à son ennemi, elle flancherait. Elle alimentait donc sa haine pour mieux atteindre son but. Sa réserve de colère la surprenait, mais elle refusait de s'interroger à ce sujet pour le moment.

Plus tard pour les questions. Je suis là, maintenant.

— Comment tu es arrivée ici ? s'exclama la captive fraîchement libérée. Je sais que... je n'imaginais pas que tu pourrais...

Elle ne termina aucune de ses phrases, désentravant ses mains des cordages encore enroulés autour de ses poignets.

— Peu importe la manière dont je suis entrée. Je suis ici et je compte bien en sortir. Seulement... j'ai quelque chose à faire avant.

— Tu vas tuer Darmack, n'est-ce pas ?

En guise de réponse, Chloé se posta près de la porte pour s'assurer qu'aucun trouble-fête ne viendrait les déranger.

— Je n'attendais pas ça de toi.

Jorda s'approcha, abandonnant sa démarche chaloupée pour la boiterie d'une femme qui avait été maltraitée avant d'être ligotée, et capta le regard de Chloé dès que celle-ci le tourna dans sa direction.

— Tu es beaucoup plus forte que dans mon souvenir, dit-elle gravement. Tu te cachais derrière Nicolas, tu usais et abusais de ses sentiments pour qu'il te protège et te sauve.

Chloé fronça les sourcils, indignée : comment osait-elle dire une chose pareille ?

— Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Je vois que tu as su prendre ta propre assurance. Je commence à comprendre ce que Darmack voyait en toi.

— Ne me parle pas de Darmack de cette façon ! explosa Chloé. Et ne t'avise pas de me dire que je profitais de la bonté de Nicolas !

Jorda gloussa.