Chapitre 16.2 : Souvenirs

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De l'eau...

Elle étouffe, se noie...

La surface est à portée de main...

Une voix l'appelle. Une voix d'enfant. « Clara ! »

L'eau s'accumule, s'enfonce dans sa gorge, dans son nez...

Elle ne peut plus respirer...


— Chloé !

De ses bras solides, Gilles la maintenait assise sur le tabouret. Dans le vacarme de la salle, personne n'avait remarqué sa perte de conscience en dehors des deux barmans. Gilles empoigna son menton et l'obligea à le regarder, la mine sévère.

Telle une poupée de chiffon, Chloé se laissait faire, incapable de l'en empêcher. Lui aurait-on jeté un parpaing en pleine tête qu'elle n'aurait pas eu plus mal ! Elle avait l'impression que chaque bruit, chaque secousse, chaque fluctuation d'air avait sur elle un retentissement décuplé. Dans ce vacarme de guitares et de batterie, elle avait le sentiment d'avoir installé sa tête à l'intérieur de la grosse caisse...

— Chloé, regarde-moi, disait Gilles. Regarde-moi. Reviens avec nous... Tu m'entends ?

Elle parvint difficilement à fixer son regard sur lui, puis réalisa la situation. La douleur se diffusait dans tout son corps, entraînant avec elle une grande lassitude. Depuis l'autre côté du comptoir, Éric semblait soucieux.

— Chloé ?

— Oui... je vais mieux...

Gilles posa une main sur son front qu'elle repoussa par réflexe.

— Tu as de la fièvre, tu sais ?

— Je n'ai pas de fièvre ! protesta-t-elle.

— Tu es brûlante ! Fais pas ta gamine ! Je ne suis pas Georges !

En recouvrant peu à peu toutes ses facultés, elle entendit le rire de Darmack résonner dans son esprit.

« Douloureux, n'est-ce pas ? »

Les deux barmans insistèrent pour qu'elle rentrât chez elle, et elle n'eut d'autre choix que de les écouter. Dans l'état où elle se trouvait, user de ses pouvoirs lui assurait une nouvelle perte de connaissance et persister dans son refus aurait poussé Gilles à la prendre de force sur son épaule pour la ramener dans son appartement. Dans les deux cas, sa fierté le lui interdisait. De plus, Boris ne tarderait pas à leur confier son premier malaise de l'après-midi, et elle n'aurait plus aucun argument à leur opposer.

De retour chez elle, Chloé redécouvrit son appartement. Équipée de ses souvenirs, elle réalisait enfin le chemin qu'elle avait parcouru ces trois dernières années. À travers chaque meuble, chaque cadre photo, chaque bibelot, elle se rappelait une anecdote de sa nouvelle vie, si radicalement différente de l'ancienne. La plupart de ses meubles, Georges les lui avait trouvés. Il connaissait toujours quelqu'un en mesure de lui donner ce dont elle avait besoin « pour se débarrasser ». L'assemblage, disparate, formait un patchwork de couleurs et de styles auquel elle s'était habituée. À ses débuts, elle n'avait guère eu les moyens de faire la difficile, et c'était encore le cas. La fonctionnalité primait et donnait à son intérieur des allures de joyeux bazar pas toujours très assorti.

Devant un tel tableau, Chloé se demanda ce qu'il était advenu de toutes ses possessions antérieures. Des vêtements surtout, car elle avait emménagé dans le studio de Nicolas, déjà meublé au-delà de ses capacités, et n'avait donc que peu contribué à sa décoration. La famille aurait dû récupérer ses affaires... mais elle sortait d'un orphelinat...

Le Démon (L'Hybride, livre 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant