Le Démon (L'Hybride, livre 1)

Chapitre 4.4 : le Contrat

Une silhouette bleue, translucide, traversa le sol et le corps de Georges puis plana au-dessus de lui. Drapé dans des lambeaux de tissu, un être s'était matérialisé devant elle. Homme ou femme, elle l'ignorait. Ses rares cheveux flottaient sur sa tête au gré d'une brise qu'elle ne ressentait pas, et ses yeux voilés par la mort l'observaient avec quiétude. Le froid polaire s'était répandu dans toute la pièce et l'atmosphère, changée, la mit mal à l'aise.

— Que désires-tu ?

La voix d'outre-tombe arracha à Chloé un violent frisson d'angoisse. La créature n'avait pas desserré les lèvres.

— Je... je...

— Sauver cet homme ne rentre pas dans le contrat, Ange Suprême.

Son regard flou mais fixe aurait déstabilisé le plus endurci des hommes. Chloé sentit la sueur perler sur ses tempes. Face à qui se trouvait-elle ? Il ou elle ressemblait à un macchabée revenu d'entre les morts !

— P... Pourquoi ?

— Sa mort n'est pas du fait de la magie. Lui rendre la vie ne me sied guère ; me pousser à le faire rompra notre contrat.

— Un contrat ? répéta-t-elle, hébétée.

— Tu ne pourras plus sauver d'autres personnes qui entrent dans le cadre du contrat.

— Mais... il a été tué ! s'indigna Chloé. Ce n'est pas juste !

— Sa mort est due à la main d'un homme, non à celle d'un sorcier ou d'un être issu de la Magie.

Un cruel dilemme s'imposa à Chloé : était-elle prête à sacrifier ce pouvoir, et peut-être la vie de futures victimes de la magie, pour sauver Georges ? Avait-elle le droit de faire ça ?

— Mon temps est précieux, Sorcière. Choisis.

Devait-elle dire adieux à son air bourru ? Devrait-elle composer avec l'absence de ses sempiternelles plaintes envers la paperasse ? Apprendre à vivre sans ses conseils avisés ? Se passer de son inquiétude pour elle ? Sa protection ?

Prête à confirmer à la créature son choix de rompre le contrat, la petite voix dans sa tête, cette agaçante petite voix, l'en empêcha. Avait-elle le droit d'abandonner d'autres personnes qui mourront peut-être à cause d'elle et de ses pouvoirs au profit d'une seule ? Mais... Georges ! Non, pouvait-elle se permettre de perdre ce pouvoir pour réanimer Georges ?

Elle soupira.

Lucide, elle savait que même lui aurait refusé.

Désemparée, elle recula et secoua la tête.

— Je ne... peux pas faire ça, murmura-t-elle en tremblant.

Elle regrettait déjà ses paroles.

— Georges ne souhaitait pas revivre. Il te remercie de ta décision.

Une honte insidieuse se glissa en elle tandis que l'individu disparaissait : elle n'avait même pas songé à la volonté de Georges. Comment avait-elle pu agir si égoïstement ? Mais comment avait-il pu l'abandonner si tôt ?

— Chloé ?

Jérôme entra dans la pièce. Après un moment de stupeur devant le cadavre étendu, il posa une main sur l'épaule de sa collègue. L'apparition s'était dissipée.

— Chloé... ne reste pas là.

Il l'entraîna dans le couloir et referma soigneusement la porte derrière eux.

— Qu'est-ce que tu faisais là-dedans ?

Les yeux dans le vague, elle ne trouva pas les mots pour lui répondre. La douleur trop vive l'empêchait encore de s'exprimer de manière satisfaisante.