...! Ôrage !...

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D'abord, un vide. Une sorte d'inexistence subtile de l'air. Tout semble être entier à ses occupations, mais ce n'est qu'un fourmillement de vacuité et d'attente. Puis, peu à peu, un poids s'abat sur les cœurs, les têtes et les esprits. Le temps semble comme suspendu, les êtres s'arrêtent et lèvent les yeux au ciel... L'air devient peu à peu solide et les corps se meuvent langoureusement, douloureusement, difficilement, à travers cette viscosité invisible. Loin là-haut, puis de plus en plus proche, de sombres et inquiétantes nuées se rassemblent telles une armée mythique pour le Jugement Dernier. Alors, presque insensiblement, les êtres courbent l'échine sous la menace des combats qui se profilent aux horizons. L'air, d'absent devient oppressant de présence et, par tous les pores de la peau, s'infiltre au cœur de tout ce soufre humide et gras. La lumière du ciel, auparavant triste et terne, sans attrait particulier, s'évanouit désormais dans une étrange nuit électrique, où tout est semblable et pourtant différent, où l'homme lui-même ne se reconnaît plus, ne sachant pourtant pas en quoi il diffère. Ainsi, le ciel peu à peu est obscurci ; une chape de fumées ténébreuses semble vouloir manger le monde, l'enfermer pour le faire disparaître. Le temps poursuit son ralentissement et, inéluctablement, se rapproche du moment où toutes choses seront immobilisées, tendues et en sursis. Une pression sans nom s'intensifie encore et l'espace et le temps se réduisent encore pour la vie frémissante et fragile qui soupire de fatigue et d'impatience. Tout est aux aguets, tout attend l'implacable.

Soudain, un flash luit aux coins des yeux, fugace, et, sans tarder, un roulement effrayant emplit l'air d'une présence tonnante et physique qui secoue jusqu'aux tréfonds des choses et des êtres. à peine l'effet trépidant et spasmodique s'est-il dissipé que de nouvelles flèches titanesques jaillissent du ciel, de plus en plus près, dans des craquements toujours plus apocalyptiques. A chaque coup asséné par ces éléments mythiques, tout se crispe et se tend, attendant d'être frappé à mort d'un instant à l'autre. Progressivement, minute après minute, toute vie est réduite à l'observation craintive de sa propre destruction éventuelle prochaine. Passé et avenir convulsent et expirent dans ce présent si total, tyrannique et envahissant. Tout n'est plus que roulements d'Enfers, craquements de cette croûte noire qui a remplacé le ciel et éblouissements brefs et violents.

Alors, la vie trouvant enfin la force de reprendre le contrôle d'elle-même, hésitant entre folie et résignation, croyant pouvoir vivre de nouveau comme avant le grand cataclysme, se retrouve encore un peu plus menacée par un déluge effroyable. Des quantités d'eau glaciale, de plus en plus violemment, tombent sur les terres arides et agonisantes que les derniers évènements ont fait convulser et exsuder à s'en vider l'âme de tout mal. Et l'eau, partout, s'insinue au cœur des choses pour laver la terre et la vie. Partout, les rides du sol, sous la pression des eaux inquisitrices, se changent en crevasses, en canyons puis en abîmes, et partout des fleuves de boue charrient des ruines et des maux, des villes et des civilisations. Tout est défait et, l'eau lavant tout, la vie se cache pour résister dans les recoins les plus sombres, fuyant l'orage et ses hordes armées venues venger et changer la face du monde. Les montagnes disparaissent dans des abysses océaniques et du fond des océans jaillissent de nouvelles montagnes ; les fleuves font leurs lits sur les hauteurs les plus escarpées, pour les abattre, puis reviennent dans les plaines y accumuler leurs butins. Partout, le monde est dévasté, méconnaissable, et tout est transformé et recréé.

Enfin, quand plus rien n'est semblable à ce qu'il était, comme il est venu il repart, l'orage mystique qui est passé de toutes ses forces : ses flèches de lumière cessent de frapper sauvagement au hasard, les craquements cessent d'ébranler le monde, l'eau cesse de tomber du ciel, et le ciel lui-même est libéré de sa gangue de fumées sombres, qui s'évanouissent peu à peu aux horizons, désertant une terre déprimée où l'air n'a plus de poids, où le soleil brille d'une chaleur et d'un éclat inouï et jamais rencontrés. Le monde soupire de contentement dans ses nouveaux atours. L'amour s'est fait une place dans un nouveau cœur...

Aubes et crépuscules 1/4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant