La mer, toujours pareille
Du coucher au réveil,
Offre aux yeux des enfants,
Fatigués d'être grands,
L'héritage des pères ;
Dans le dos le désert,
Des ruines, la misère,
Nos maisons de guingois,
Nos espoirs aux abois.Partir, il faut partir,
Au risque de mourir
Puisqu'on est déjà mort :
Au risque de faillir,
Tenter, tenter encore.Le soleil d'occident
A brûlé les cultures,
Les tempêtes du nord
Affamé nos enfants,
Le sang noir coule à flots,
Abreuve tous nos maux.Partir, il faut partir,
Laisser femme et enfants,
Seul face à l'océan,
Voguer de pire en pire,
Mais voguer cependant,
Aller de port en port,
A raison ou à tort,
Mais aller de l'avant.Libérés de nos chaînes,
Mais ivres de nos haines,
Maîtres de nos richesses
Mais qui nous fuient sans cesse,
Aux pays du soleil,
Nous errons dans le noir,
Sans espoir de réveil
Et forcés au départ.Partir, je vais partir :
Il le faut aujourd'hui.
D'autres ont déjà fui,
Certains pour revenir,
Tout prêts à repartir,
Beaucoup sans revenir,
Sans pourtant parvenir.
Quelques uns ont touché
Ce rêve de papier,
De verre et de ciment,
Ce nouveau continent.
Leurs échos sans éclats
Luisent dans notre nuit
Comme feux de midi
Pour guider tous nos pas.
Partir sans un retard,
Partir sans un regard,
Tout prêt pour le départ,
Matelot par hasard.Les vagues affamées
Ont léché le navire,
L'ont mâché, recraché,
Jusqu'à ce qu'il chavire.
Je suis mort trop souvent,
J'ai souffert trop longtemps,
J'ai pleuré sans espoir,
J'ai prié dans le noir.
Enfin, dans l'azur bleu,
Un ange étincelant,
Rugissant et soufflant,
Est descendu des cieux.Partir, oui, parvenir !
Voilà enfin quelqu'un,
Là, pour me soutenir
Jusqu'au bout du chemin.
Partir et arriver,
J'ai donc fait le bon choix :
Tout n'est pas sacrifié
Sans que meure ma voix !Mais la main secourable
Est cruelle et infâme,
Rend mes efforts minables,
Détestable ma femme.
Oui je vais retrouver
Mon aimée, mon foyer,
Mon enfant, la contrée,
Mais sans ma dignité :
Ma pirogue a coulé,
Mes amis sont noyés,
Je me suis endetté
Au village endeuillé.
Les mères vont souffrir,
Les soeurs vont me maudire,
Les pères vont blanchir,
Les enfants vont grandir :
Il me faut repartir.
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Aubes et crépuscules 1/4
ŞiirToute une vie de poésie ou toute une poésie de la vie : c'est vous qui voyez ! Poésie - De Loeuw Jonathan