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« Je vous jure que le premier qui touche à mes rosiers finit la tête dans le barbecue, c'est compris ?! »
Des mines effrayées. Un grand éclat de rire, et puis des marmonnements. Plutôt amusée, Alice lança un clin d'oeil à son fils, spatule en main, pendant que ses amis soupiraient.
Les beaux jours étaient arrivés, et Alice avait invité tout le monde pour l'occasion. Bill, Tom, Elsa, leurs grands-parents, Andy, Georg, Gustav. Tout ce petit monde était comme un nouveau souffle pour elle. Une nouvelle famille. Une famille qui s'agrandit et surtout, la vie qui continue malgré les souvenirs douloureux.
Georg s'était fait une joie de servir un verre à tout le monde, ils avaient tous trinqué, s'exclamant en un brouhaha assez important et faisant trinquer les verres sans grande précaution. Le barbecue était tenu par Alice, mais Eliott allait régulièrement l'aider et discuter de tout ce qu'il aimait manger, tout ce qui était bon et tout ce que sa femme lui cuisinait. Alice retrouvait quelque chose de familier en lui. C'était plutôt rassurant.
Assis autour de la table et observant tout ce petit monde remuer et rire autour de lui, Tom souriait. C'était la première fois qu'il se sentait si entouré, et surtout uniquement par des gens qu'il aimait, en qui il pouvait avoir confiance. Ça semblait presque irréel.
« Quelqu'un veut des légumes grillés ? » ; demanda Alice.
« Ouuui, des poivrons ! »
Il y eut plusieurs demandes, et finalement Andy se proposa pour aider. Les discussions reprirent, les rires, les chamailleries.
Tom tourna lentement la tête lorsque des mains se posèrent contre ses épaules et sourit face aux yeux pétillants du blond.
« Tu viens avec moi ? » ; lui demanda celui-ci.
Tom le suivit sans protester. L'androgyne le mena de l'autre côté du jardin, près des plates-bandes remplies de fleurs. Il y avait une allée complète de tournesols commençant tout juste à s'ouvrir. Ils étaient immenses, parfois plus grands qu'eux. Ils étaient magnifiques. Tom savait qu'Alice leur donnait tout l'amour possible en mémoire de Greg et que c'était certainement pour ça qu'ils poussaient aussi bien. Les éternels rosiers étaient tout aussi beaux. Rouge, rose, blanc, jaune... Une collection complète. Il savait qu'elle y mettait tout son coeur pour eux aussi, parce qu'elle l'avait toujours fait et parce que Greg adorait cet amas de couleurs joyeuses et ensoleillées.
Lorsque Bill tira sur sa main pour le stopper, il se retourna, tombant dans ses yeux brillants. Il était un peu à fleur de peau, mais il était bien, autant que possible en tout cas. Tom pouvait le sentir et le voir à sa façon de sourire. Ça ne sonnait ni faux ni professionnel. Ce n'était pas le sourire qu'il avait connu la première fois qu'ils s'étaient vus. C'était un sourire fébrile, mais réel.
« Ce serait vraiment parfait si papa était là. » ; souffla-t-il d'une petite voix. « Et ta mère aussi. »
Tom ne sut pas quoi répondre. Oui ? Bien sûr que ce serait parfait, mais ça, c'était loin d'être réaliste.
« Est-ce qu'on peut penser qu'ils sont là, quelque part, même si ça a l'air stupide et flippant ? » ; lui demanda cette fois le blond. Tom fut celui qui eut les yeux brillants à présent.
« Oui. »
« Est-ce qu'ils seraient heureux avec nous ? »
« Totalement. Même si maman serait carrément jalouse de la hauteur des tournesols. Les nôtres étaient ridicules à côté. »
Bill eut un petit rire en l'imaginant. Il avança d'un pas et ses mains cherchèrent celles du cadet.
« Peut-être que c'est elle qui les rend aussi belles de là où elle est. » ; leurs doigts s'emmêlèrent rapidement et Tom lui adressa un sourire franc. Peu importe s'ils avaient l'air niais ou stupides à espérer voir des signes partout. Si ça leur faisait du bien et qu'ils se comprenaient, où était le mal ? « Tu sais, même s'ils nous manquent, elle est pas mal aussi, cette famille... » ; reprit le plus âgé en lui indiquant tout ce petit monde à quelques mètres de là. « J'en ai jamais eu une aussi grande. » ; Tom souriait encore.
« Ouais... Ils sont un peu dingues et dérangés du cerveau, mais au moins... ils sont tous géniaux, et puis c'est la nôtre. » ; Bill hocha doucement la tête. C'était vrai. Ils étaient tous un peu farfelus, mais il y avait un peu de lui, un peu de Tom, un peu de leurs amis. Et peu importe s'ils n'étaient pas tous du même sang, ils étaient bien plus loyaux que les membres de leur propre famille respective.
Bill se mordit l'intérieur des joues, souriant faiblement, et le dreadé tira sur ses mains pour le rapprocher de lui et ainsi toucher ses lèvres. Le baiser ne dura qu'une seconde, puisque Tom baissa ensuite la tête de manière à poser son front contre le sien. L'androgyne souffla doucement. Il aimerait pouvoir se dire que les choses allaient rester comme elles l'étaient aujourd'hui. Il était aussi bien que possible malgré le manque. Il se sentait entouré et en confiance, et aussi déterminé après la frayeur qu'il avait eu avec son petit séjour à l'hôpital. Il ne voulait rien de plus que tout ça. Juste être bien et avec les gens qu'il aimait, même si la vie lui avait appris que ça ne restait jamais très longtemps si simple, il était bien décidé à se battre pour garder ce semblant de petit bonheur.
Finalement, il avança de lui-même cette fois, faisant se toucher leurs bouches en un mouvement aérien. Il lâcha les mains du plus jeune et ses bras s'enroulèrent spontanément autour de son cou afin de l'attirer dans un échange plus assuré. Cet échange reflétait la façon dont Tom le rendait plus fort, plus vivant. La réalité, c'était que Tom avait été son déclic depuis longtemps mais qu'il avait toujours refusé de l'accepter. À présent, il était d'accord, et il était confiant avec cette idée. Tom lui donnait le sentiment et la joie de vivre. Et c'était quelque chose qu'il avait perdu bien longtemps avant la mort de Greg.
Conscient de ce dont il avait besoin, le dreadé enroula et serra ses bras autour de sa taille. Il répondit au baiser avec son éternelle douceur, son réconfort habituel et si familier. Sans brusquerie, sans empressement. Juste la douceur et le besoin.
Autour d'eux, il y eu des petits sifflements, des exclamations de joie et d'attendrissement. Bill se détacha des lèvres du cadet, mais ne recula pas pour autant, levant seulement les yeux au ciel. Alice était la première à se faire entendre avec des -mes bébés !- et des larmes de crocodile, et ils étaient tous souriants et peut-être un peu émus aussi.
« Rangez vos yeux, bande de niais. » ; lança-t-il d'un air ennuyé. La réplique déclencha aussitôt de grands éclats de rire, et Tom lui adressa un petit sourire, amusé. « Finalement je vais peut-être changer, parce que la famille de barbapapa euh... » ; les exclamations fusèrent à nouveau, et pour se venger, Tom commença à embrasser bruyamment sa joue, sa mâchoire, son cou, qu'il fit exprès de chatouiller pour l'embêter. Bill crispa ses doigts contre lui, sa tête basculant dans le mouvement alors qu'il commençait à râler. « Toooooom ! » ; gronda-t-il, sentant celui-ci rire contre la peau de son cou. Ils commencèrent à se chamailler sous les yeux attendris, ou rassurés, de tout leur entourage, et Bill décida que toute cette pseudo-niaiserie était une chose qu'il devait aimer, quelque part, et qu'il se fichait pas mal que ce soit à l'opposé de ce qu'il était. Au final, ce côté barbapapa était ce qui le faisait régulièrement se sentir bien, et aimé. Il y aurait toujours ce manque, ce vide immense dans son coeur et au quotidien, mais la douleur était un petit peu moins forte, la détermination avait pris le dessus, la rage aussi. La rage de vivre, de se battre, de vouloir foutre une raclée à la vie. Pour Greg.
Fin.

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Feeling Good
Romance« L'opposé de la débauche, ce n'est pas la pruderie, ce n'est pas l'abstinence : c'est l'amour. » --Alphonse Karr.