1

106 1 0
                                    


Lundi 27 avril, à Aix en Provence


Le son grave et prolongé du gong tibétain sur lequel vient de frapper, d'un geste gracieux, une jeune femme brune à la silhouette élancée, met fin à la séance de yoga. Allongées sur des tapis en mousse, une dizaine de personnes s'étirent et rouvrent les yeux, guidées par leur professeur, Roxane T, qui les invite à reprendre paisiblement contact avec l'environnement.

Détendue, un léger sourire aux lèvres, l'une des adeptes à la blondeur resplendissante reste assise dans la posture du lotus, tandis que les autres participants se rechaussent et se préparent à prendre congé. Bientôt, les deux amies demeurent seules.

Se connaissant depuis l'enfance, elles s'étaient perdues de vue à l'adolescence, puis retrouvées par hasard au salon des médecines douces, ravies de se sentir toujours aussi proches. Vivant toutes les deux à Aix, elles se rencontrent deux fois par semaine au dojo de Roxane. Là, Phalène R apprécie de pouvoir évacuer les tensions liées aux contacts parfois difficiles avec certains lycéens auxquels elle enseigne les arts plastiques. Elles prolongent souvent la soirée dans une crêperie, après une flânerie sur le Cours Mirabeau verdoyant et jalonné de fontaines, l'un des endroits les plus animés de la ville.

Pour l'instant, elles empilent ensemble les tapis dans un coin de la pièce qu'éclairent agréablement des photophores roses. Roxane, non sans un brin de malice, engage alors la conversation de sa voix ensoleillée :

J'ai l'impression que ton collègue, Yvan, n'est pas insensible à ton charme... Plusieurs fois, ce soir, j'ai surpris son regard posé sur toi ; il n'avait pas les yeux assez grands pour te contempler !

Ce serait difficile de ne pas le remarquer ! Au lycée, il s'attarde toujours dans la salle des profs quand j'y prépare mes cours, il se précipite pour m'aider à porter mon matériel jusqu'à la salle de dessin... et s'est inscrit ici lorsqu'il a su que j'y faisais du yoga.

Ah, ah !

Mais il est tellement timide qu'il n'ose pas aller plus loin... Heureusement !

Pourquoi " heureusement " ? C'est un garçon sympa, plutôt mignon !

Oui, j'en conviens ; mais il ne m'attire pas.

Voilà vraiment une énigme, Phalène ! Tu as vingt-six ans, tu es belle, intelligente, cultivée... Avec toutes tes qualités, comment se fait-il que tu vives toujours seule ? Excuse-moi si je suis un peu directe, mais mon amitié pour toi m'y autorise. On ne te connaît aucune liaison ; tu ne tombes donc jamais amoureuse ?

Un voile de tristesse passe dans le regard bleu de celle qu'on interpelle ainsi, avant qu'elle ne réponde, la voix un peu tremblante :

Si, ça m'est déjà arrivé, il y a longtemps...

Tu ne m'en as jamais parlé.

C'était si fort, tellement merveilleux que depuis je n'ai rien éprouvé de semblable... et je ne saurais me contenter de moins.

On idéalise tout avec le temps. Il ne faudrait quand même pas qu'une fixation sur le passé prenne la place d'un nouvel amour. J'incite souvent mes élèves à vivre " ici et maintenant ".

Je sais, mais j'espère toujours... pouvoir aimer comme lorsque j'avais seize ans...


PhalèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant